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son la faculté ou le penchant de l’exprimer par le langage, ou si à un certain moment de l’existence de l’humanité il lui avait enseigné miraculeusement à parler une langue déterminée : deux hypothèses, dont la première n’en est pas une, car c’est à peu près la croyance de tout le monde, mais qui ne donne la solution d’aucun problème, et la seconde est un épisode à joindre au récit de la Genèse, qui n’en a pas besoin pour se comprendre en lui-même dans la mesure où la foi permet qu’il soit compris. Il est trop évident que les premières scènes bibliques appartiennent à un ordre de choses aujourd’hui surnaturel, et que, sans compter qu’il n’est permis d’y ajouter aucun détail, elles ne sauraient être transportées arbitrairement dans l’ordre qui a succédé. Personne n’a le droit d’inventer des miracles. Et puis enfin qui doute que, même non révélée, la parole ne soit un don originairement divin? Telle est pourtant cette obscure, indécise et gratuite hypothèse de l’origine de la parole que M. de Donald a érigée en une découverte fondamentale (quoique Vico et Herder en eussent bien touché quelque chose), et faute de laquelle, selon lui, a failli toute philosophie. Puis, comme la révélation n’est que la tradition divine, il suit que la parole est essentielle à la pensée comme à la société, et que tout, pensée et société, est tradition. De là le nom de traditionalisme donné au système.

On voit comment de cette philosophie dérive la politique. La vraie politique est la tradition sociale. Il semble que M. de Bonald aurait dû montrer alors les caractères d’une invariabilité traditionnelle dans la politique qu’il soutient, et la justifier par l’histoire. Or chacun sait qu’il n’en a rien fait. Toute sa législation est au contraire établie a priori, en vertu d’une analogie prise soit de la nature de l’esprit humain, soit de la religion chrétienne. Comme Dieu a voulu un médiateur entre lui et l’humanité, comme dans les rapports des êtres qui composent l’univers la cause est au moyen ce que le moyen est à l’effet, comme dans l’homme la volonté agit sur les organes et les organes sur un objet, ainsi dans la société le pouvoir est au ministre ce que le ministre est au sujet. Et sous ce nom de pouvoir, expression sociale de la volonté divine, l’être qui gouverne et conserve la société est identifié sans la moindre preuve avec l’incarnation individuelle de la souveraineté absolue. Ce ministère public qui le seconde signifie une classe chargée par privilège de servir le pouvoir, c’est-à-dire une aristocratie investie par délégation de l’exercice de l’autorité politique. Remarquez que toutes ces assertions sont gratuites et fondées sur des analogies qu’on ne prend pas la peine d’approfondir, car le moyen d’établir, par exemple, une comparaison bienséante entre le divin Rédempteur et une classe de fonctionnaires publics? Enfin, pour arriver au troisième terme, le