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abstrait de Bhagavat, bienheureux, et voici comment il est célébré, tout au milieu de l’épopée, dans une ode fort ancienne, assez obscure, dont j’essaie de traduire ici quelques stances :

« La force productrice, au grand éclat, tout enflammée, pleine de gloire, que les dieux honorent, par laquelle le soleil rayonne : les djoguis la perçoivent ; c’est Bhagavat qui est éternel. — De cette force procède Brahme, par elle Brahme se développe et croît ; cette force qui réside au milieu des corps célestes rend brûlant le soleil qui ne chauffait pas : les djoguis la perçoivent ; c’est Bhagavat qui est éternel. — Elle pénètre les eaux ; sortie des eaux au milieu de la mer, elle pénètre deux divinités dans l’espace ; pleine d’énergie sous la forme de l’astre lumineux, elle soutient à la fois la terre et le ciel : les djoguis la perçoivent ; c’est Bhagavat qui est éternel. — Cette forme soutient donc deux divinités, la terre, le ciel et les points de l’horizon ; c’est d’elle qu’émanent et coulent les points de l’horizon et les fleuves, par elle que se fixent les grands océans : les djoguis la perçoivent ; c’est Bhagavat qui est éternel. — Sa forme ne peut se comparer à rien de ce qui existe, qui que ce soit ne la voit par les yeux, mais par l’intelligence, l’esprit et le cœur ; ceux qui l’ont connu, ceux-là sont immortels ! Les djoguis la perçoivent ; c’est Bhagavat qui est éternel[1]… »


L’ode continue sur ce ton pendant une quarantaine de stances. Le dieu cherché, Bhagavat, tantôt ressemble au feu, le plus actif des élémens, celui qui a joué le plus grand rôle dans la création, tantôt s’offre sous les traits du soleil, tel que l’adoraient les mages ; il flotte insaisissable et partout présent, comme cette âme universelle que le panthéisme essaie en vain de préciser. Le vrai djogui doit finir par se voir lui-même en toute chose, dans le passé comme dans le présent, dans ce qui est comme dans ce qui n’est pas. En somme, rien n’existe que l’âme (âtma), qui a le sentiment de son être et le désir impérieux de ne pas mourir ; c’est bien quelque chose. Dans ce passage toutefois, la théorie du djoguisme n’est encore qu’indiquée : c’est un peu plus loin, dans le magnifique chant de la Bhagavadguitâ, qu’il faut l’étudier.

II. — le chant du bienheureux.

Il a été fait beaucoup de traductions de la Bhagavadguitâ, en latin, en anglais et en français, depuis une cinquantaine d’années. Ce beau livre, — il contient l’exposition complète d’une philosophie, — est donc entre les mains de tout le monde. Je voudrais seulement faire connaître ici comment cet épisode est amené dans le poème et le rôle qu’il joue dans la suite des événemens.

Tandis que les fils de Dhritarâchtra, les Kourous, discutent en con-

  1. Chant de l’Oudyogaparva, lect. 44, vers 1 738 et suivans.