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depuis quelque temps en rapport avec les Européens, sera profondément modifiée. Initiés à nos idées et à nos usages, à nos arts et entre autres à celui de la guerre, mêlés chaque jour avec nous et tout pénétrés de notre influence, les Chinois ne seront déjà plus exposés à l’une de ces conquêtes accomplies par un coup de main comme celles de Fernand Cortez et de Clive; ils ne seront plus ce peuple qu’on voit aujourd’hui, moins par pusillanimité que par ignorance, incapable de disputer une demi-heure aux Européens un champ de bataille. Une invasion comme celle de 1644 ne suffira plus à les réduire. Sans doute aussi leurs croyances religieuses ou plutôt leur athéisme pratique et leurs ignobles superstitions auront commencé à faire place à la pure lumière de l’Évangile. Le rôle de nos missionnaires grandirait alors, et un champ bien autrement étendu qu’il ne le fut jamais s’ouvrirait à leur salutaire influence. Ce serait à la charité publique en Europe de faire des efforts proportionnés à la tâche nouvelle de ces ouvriers évangéliques. Les annales de nos missions, la persistance avec laquelle la foi catholique s’est maintenue en Chine depuis trois siècles, malgré la persécution, malgré les supplices et les tourmens les plus raffinés, nous donnent le ferme espoir que nos conjectures ne seront pas démenties, que le christianisme sera pour l’empire chinois l’agent le plus puissant de sa régénération. Oui, nous avons l’heureuse confiance que cet empire, au lieu d’agrandir le domaine déjà si vaste d’une des deux puissances européennes qui se disputent la suprématie en Orient, prendra, avec le temps, parmi les états indépendans de la grande famille chrétienne, le rang que lui assignent l’intelligence de ses habitans, leur nombre et les avantages matériels que Dieu leur a donnés.

Au moment où nous achevons ces pages, l’idée nous vient que toutes nos dernières pensées pourraient bien n’être pour une partie des lecteurs que de gratuites hypothèses, de vaines utopies. A cela nous demandons la permission de répondre à l’avance une seule parole. Combien de fois, depuis un siècle surtout, n’a-t-on pas vu les rêves de la veille devenir les réalités du lendemain ! Et l’effort de la sagesse humaine ne doit-il pas être de prévenir celles de ces réalités qui seraient des maux irréparables, comme de hâter l’accomplissement de celles qui peuvent être des bienfaits pour l’humanité?


V. DE MARS.