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sait avec quelle facilité les Chinois émigrent; la Californie et l’Australie sont là pour montrer qu’ils ne craignent ni les longs voyages, ni le contact des sociétés européennes. Laborieux, industrieux, intelligens, ils font d’excellens colons quand on pourvoit soigneusement à leur bien-être et qu’on ne manque pas aux engagemens pris avec eux. Ne pourrions-nous pas les attirer en Algérie? Par l’isthme de Suez, le voyage serait assez prompt, et le courant d’émigration, une fois établi, alimenterait une marine marchande considérable. Notre Afrique française, ce vaste et fertile pays, situé si près de nos côtes et pourtant colonisé si imparfaitement jusqu’à ce jour, verrait alors ses solitudes se peupler et fructifier. Ou nous nous trompons, ou il serait assez facile d’obtenir que cette émigration entraînât surtout hors de la Chine les catholiques, que l’influence de nos missionnaires déterminerait à emmener leurs femmes et leurs enfans, et à rompre avec ce culte des ancêtres qui jusqu’à présent a fait des émigrans chinois de vrais oiseaux de passage, toujours empressés de regagner le nid paternel.

Nous ne faisons qu’indiquer ces perspectives, et nous revenons à notre sujet principal.

Les conditions du pacte dont nous avons parlé plus haut une fois déterminées, il s’agirait de les mettre à exécution. Chacun devrait fournir sa part de forces navales et militaires, et une fois l’incident de Canton vidé, il serait sans doute nécessaire d’occuper un point central comme base des opérations ultérieures à entreprendre. Ce serait probablement Chusan, ou mieux encore Shanghaï. C’est de là que partirait pour Péking l’expédition chargée d’obtenir par la persuasion ou par la force les conditions arrêtées à l’avance, et de porter au fils du ciel le baptême de cette civilisation chrétienne qui a élevé les peuples européens si haut au-dessus du reste de l’humanité. Noble et glorieuse entreprise qui aurait passionné nos pères, et bien digne d’illustrer ceux qui aujourd’hui seraient chargés de l’accomplir !

Et si le but a de la grandeur, la conduite de l’expédition serait aussi pleine d’intérêt par toutes les circonstances nouvelles qui ne manqueraient pas de s’y rattacher.

Nous n’avons pas parlé de négociations préalables, parce qu’avec le caractère bien connu des Chinois elles ne feraient qu’ouvrir la porte à d’interminables lenteurs. Nous sommes assurés qu’on ne donnera pas cette fois à l’astuce des mandarins un avantage que trop souvent déjà on lui a procuré. La guerre a d’ailleurs été déclarée de fait devant Canton. On se présenterait donc devant l’embouchure du Pei-ho[1], et toute la partie légère de l’expédition pénétrerait dans

  1. Le Pei-ho a 14 pieds (anglais) d’eau sur sa barre.