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bue au gouvernement de Washington sur les îles Loo-choo. Enfin chacun voit avec alarme le grand pas en avant que les Russes ont fait dans ces dernières années, en se saisissant de tout le cours du fleuve Amoor dans la Mantchourie. Ce fait, trop peu apprécié, est de nature à avoir une influence décisive sur les événemens dont la Chine va être le théâtre; on n’en pourra comprendre toute la portée qu’en jetant avec nous un rapide coup d’œil sur la carte et sur les relations qui ont existé jusqu’à ce jour entre les Russes et les Chinois.

C’est vers le milieu du XVIIe siècle que les Russes et les Chinois se rencontrent pour la première fois. Les Cosaques venaient de parcourir l’espace compris entre les monts Ourals et le lac Baïkal, de reconnaître les belles vallées de la Sibérie méridionale; à partir du lac Baïkal, en continuant leur marche vers l’est, ils découvrirent un grand fleuve, le Segalien ou Amoor, qui, traversant de l’ouest à l’est la Mantchourie, va se jeter dans la mer du Japon. C’est sur les bords de ce fleuve que les Russes se trouvèrent face à face avec les Mantchoux, à peu près à l’époque où ceux-ci s’emparaient de la Chine. Après plusieurs années de combats, pendant lesquelles les deux peuples se disputèrent la possession de ce grand débouché ouvert à l’Asie sur l’Océan-Pacifique, les Tartares, ayant achevé la conquête de la Chine, revinrent en forces, et un premier traité fut conclu à Nertshinsk, en 1689, entre les Moscovites et le khan de la Mantchourie, devenu empereur de la Chine. Par ce traité, les Chinois conservaient la possession du cours de l’Amoor et fermaient aux Russes l’accès de l’Océan; mais ils leur cédaient la rive gauche d’un affluent et leur laissaient ainsi un pied dans cette importante vallée. Le traité de Nertshinsk établissait ensuite des rapports commerciaux, sur le pied de la réciprocité, entre les deux nations, et des marchands russes visitèrent Péking depuis cette époque jusqu’en 1722, où, leur conduite ayant donné de l’ombrage aux Chinois, ils furent expulsés.

En 1728, un nouveau traité fut conclu à Kiatka, sur la frontière de la Sibérie, à peu de distance du lac Baïkal, entre des plénipotentiaires russes et chinois. La délimitation des deux empires dans la vallée de l’Amoor fut alors confirmée, et les relations commerciales rétablies entre les deux pays, mais à la condition que les échanges se feraient exclusivement sur la frontière, et au lieu même où se signait le traité. Cette règle toutefois ne s’appliquait qu’aux transactions ordinaires du commerce, les Chinois ayant concédé au gouvernement russe le droit d’envoyer à Péking des caravanes pour son propre compte. Ce droit, par lequel les mandarins s’étaient plu à rabaisser le tsar au rang d’un simple négociant, fut abandonné en 1762 par l’impératrice Catherine. Kiatka devint alors pour les Russes