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le pied de l’égalité avec les puissances européennes. On triomphera de cette résistance, mais ce ne sera pas tout, et viendra alors une autre lutte à soutenir contre les institutions chinoises, qui opposeront de grands obstacles à toutes les innovations qu’il leur faudra tout à coup subir. L’autorité de l’empereur et des mandarins ne sera-t-elle pas affaiblie, sinon détruite, par la présence de ces navires de guerre indépendans d’eux, stationnant dans leurs ports et y faisant la police, ou sillonnant leurs fleuves jusqu’au cœur de l’empire, pour aller protéger les Européens dans l’exercice d’une religion qui ne sera pas celle sur laquelle repose l’organisation sociale du pays?

A quelle juridiction seront soumis les Européens, une fois qu’ils seront établis sur le sol chinois?

Seront-ils passibles du code pénal chinois, avec tout son attirail de bastonnades et de peines corporelles de tout genre? Et mille autres questions, toutes plus difficiles à résoudre les unes que les autres, ne viendront-elles pas se joindre à celle-là?

Cependant ces garanties réclamées par le commerce anglais, quelque grand que paraisse l’effort qu’il faudra tenter pour les obtenir, quelque difficile qu’en paraisse la mise en pratique, si on les examine au point de vue politique, sont la condition sine quâ non des rapports futurs du monde occidental avec la Chine, et j’ajoute même qu’elles me semblent désormais indispensables à l’équilibre européen. Je touche ici à une question grave et délicate : on me permettra d’emprunter la lumière du passé pour l’éclaircir.

La conquête de l’Inde est, après la révolution française et celle d’Amérique, le plus grand événement de notre âge, celui dont les conséquences ont été les plus étendues et les plus durables. Cette conquête a grandement contribué à donner l’empire de la mer aux Anglais et à porter cette nation si fière, si sage et si jalouse de son indépendance, au degré de puissance où nous la voyons aujourd’hui. Peut-être avons-nous à nous reprocher d’avoir laissé ce grand événement s’accomplir, alors que nous étions représentés dans ces parages par des hommes comme Dupleix et Labourdonnais; mais ces regrets seraient aujourd’hui stériles. Malgré l’immense population qu’il s’agissait de soumettre, malgré l’éloignement de la mère-patrie, et peut-être par ces raisons mêmes, la conquête de l’Inde s’est faite avec une extraordinaire facilité. C’est qu’une grande population, quand elle n’est pas guerrière et disciplinée, est loin d’ajouter aux difficultés de la conquête. Une petite troupe résolue l’emportera toujours sur des agglomérations d’hommes confuses, aisément accessibles aux impressions du découragement et de la peur, parmi lesquelles les armes européennes feront des exécutions immenses, qui se laisseront aller à des terreurs contagieuses et irréfléchies, et à qui leur nombre même ne permettra pas la ressource extrême d’émigrer en masse, en