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ciés par les Chinois, pour qu’il leur eût été possible de les soulever de la sorte. Pour amener ce résultat, il a fallu que l’énergie de Yeh s’appuyât sur les passions de la population cantonnaise; il a fallu qu’il trouvât comme instrumens cette masse de contrebandiers et de forbans dont les côtes méridionales du Céleste-Empire ont toujours fourmillé, gens toujours prêts à tenter pour de l’argent les actes les plus criminels. En les employant, Yeh n’a fait que mettre en œuvre contre les barbares le système souvent pratiqué par les mandarins de l’intérieur contre les résistances de leurs compatriotes : celui de déchaîner et de soudoyer la populace, en l’excitant au crime au nom d’un intérêt public imaginaire. C’est à l’emploi de pareils moyens, bien plus qu’à l’hostilité véritable de la nation chinoise, qu’il faut attribuer les atrocités dont la rivière de Canton a été le théâtre. Encouragés par la mise à prix de la tête des Européens et se sentant soutenus par l’autorité des mandarins, les pirates du Kwang-tong se sont livrés à des excès abominables; mais au même moment, et comme pour prouver que l’instinct national était étranger à cette ignoble levée de boucliers, des bandes de rebelles et des flottes entières de pirates faisaient aux autorités anglaises des offres de service qu’elles ont sagement déclinées.

Disons-le hautement, si l’impunité venait justifier toutes ces horreurs, si on n’en tirait pas une vengeance éclatante, si on acceptait quelque compromis que les mandarins sauraient bien changer en victoire, le peuple chinois perdrait tout respect pour les nations de l’Occident, et nous trouverions partout des Cantonnais. Cette faute ne sera pas commise, et nous ne tarderons pas sans doute à recevoir la nouvelle d’un châtiment proportionné à l’offense.

Nous nous sommes efforcés, dans cette seconde partie de notre travail, de montrer par quel enchaînement de circonstances les rapports entre les Européens et les Chinois ont été amenés au point où ils sont aujourd’hui. Sauf dans un court passage, où nous avons parlé des missionnaires catholiques et de la protection qui leur doit être accordée, nous n’avons pas eu à prononcer le nom de la France, dont les intérêts commerciaux dans ces lointains parages n’ont jamais été que passagers ou peu étendus; mais on ne peut dire que la question, dans les termes où elle est aujourd’hui engagée avec la Chine, soit purement commerciale : cette question a acquis une importance politique qui doit, ce nous semble, frapper tous les regards, et nous avons une trop haute idée de notre pays pour croire qu’une aussi grande affaire puisse recevoir une solution à laquelle il reste étranger. Nous allons en dire les raisons.