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alarmantes pour la propriété, cette insurrection ne paraît pas plus entamée dans sa force morale que dans sa force matérielle. Elle brave toutes les menaces du pouvoir impérial, qui, sans argent, réduit aux expédiens financiers les plus misérables, déconsidéré par l’atteinte profonde que la vente des emplois a portée à la constitution de l’empire, s’est trouvé jusqu’ici impuissant à la frapper de coups décisifs. Si la Chine en était encore aux temps où, isolée et inaccessible au reste du monde, elle a vu s’accomplir dans son sein tant d’autres révolutions, la crise actuelle durerait peu sans doute, et l’unité de l’empire ne tarderait guère à se rétablir sous le chef tartare qui occupe le trône, ou sous le chef national qui le lui dispute; mais l’isolement du vaste empire du milieu n’a plus aujourd’hui de réalité : chaque jour resserre le cercle qui se forme autour de lui. Ce ne sont pas seulement les Russes par terre et les Anglais par mer qui le pressent; ce n’est pas seulement l’activité du génie européen qui, avec les forces nouvelles dont il est armé, bat en brèche chaque jour les impuissantes barrières élevées autrefois pour l’arrêter; c’est la puissance de la civilisation, celle des idées, celle du christianisme, qui somme impérieusement la Chine de lui ouvrir ses portes et d’admettre ses peuples à ce partage commun de lumière et de bien-être dont ils ne doivent plus être déshérités. De là vient qu’il nous est impossible de ne pas lier dans notre pensée ce qui se passe au dedans de la Chine et ce qui va se passer au dehors, de là vient l’intérêt et, nous ne craignons pas de le dire, l’anxiété avec laquelle nous suivons des événemens qui doivent exercer une si profonde influence sur les destinées d’une société de trois cent cinquante millions d’âmes; mais pour bien apprécier ces événemens, et pour les prévoir peut-être, il est nécessaire d’examiner quels ont été jusqu’à ce jour les rapports de la Chine avec les Européens, et par quel enchaînement de circonstances ces rapports ont été conduits au point où nous les voyons aujourd’hui.


II.

Si le gouvernement chinois en avait eu le pouvoir, nul doute qu’il n’eût élevé entre lui et les barbares de mer une seconde grande muraille, destinée à s’opposer non-seulement aux invasions armées, mais aussi à l’entrée de toutes les idées, de toutes les connaissances venues de l’Occident. En effet, l’essence d’un gouvernement comme celui de la Chine est le mensonge; il doit donc craindre plus que toute chose la lumière de la vérité, il doit craindre tout ce qui peut venir du dehors pour dissiper les ténèbres au sein desquelles il tient les peuples enveloppés, les erreurs dont il les nourrit, les préjugés