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J’ai dit tout à l’heure comment ils comptaient dans leurs rangs grand nombre d’hommes appartenant à la population amphibie de la Chine du sud, la plupart familiarisés avec le métier de pirates. Ces hommes ne tardèrent pas à organiser de puissantes flottes, qui, remontant le fleuve et ses affluens, étendirent au loin la domination des princes du ciel, et qui, en même temps qu’elles approvisionnaient l’armée, préparaient les ressources nécessaires à la grande marche que les insurgés méditaient sur Péking, dans le dessein avoué de renverser la dynastie impériale. Maîtres des cours d’eau, ils étaient maîtres du pays, et du haut de leur citadelle de Nanking ils rayonnaient à l’entour dans toutes les directions, interceptant et les corps de troupes qui essayaient de se rassembler contre eux et les ordres que l’empereur envoyait aux provinces du sud, et qu’il fut bientôt réduit à expédier par mer. Qu’allait-il arriver s’ils devenaient aussi maîtres de la mer? C’était la grande crainte des mandarins. Aussi les vit-on réunir tous leurs efforts pour fermer l’embouchure du Yang-tze-kiang. Et comme leur marine nationale leur inspirait assez peu de confiance, ils eurent l’idée de recourir à des navires et à des bras européens. Il y avait là un éclatant aveu de leur position désespérée. Seulement c’eût été trop s’abaisser que d’invoquer ouvertement les secours des barbares, et le gouvernement impérial crut sauver sa dignité en proposant aux agens anglais de lui louer les navires de la station, les bateaux à vapeur surtout, dont il se promettait la plus efficace assistance. Au défaut de ces navires, qui lui furent refusés, les mandarins allèrent chercher à Macao quelques lorchas portugaises, auxquelles ils joignirent un certain nombre de navires de commerce armés en guerre par des aventuriers anglais, américains et autres. Il ne paraît pas que cette flottille, avec ses étranges élémens, ait été d’un grand service au Céleste-Empire. Si les insurgés n’allèrent pas se mesurer avec elle, je ne crois pas que ç’ait été par suite de la crainte qu’elle leur inspirait; c’est plutôt, à ce qu’il me semble, afin d’éviter le péril qu’il pouvait y avoir pour eux à se rencontrer sur le littoral ou sur mer avec le commerce et les marines européennes.

Il y avait un grand intérêt pour les représentans des puissances étrangères à se rendre à Nanking, pour juger par eux-mêmes du caractère et de la force de cette redoutable insurrection, pour voir de leurs propres yeux cette Chine nouvelle, avec laquelle bientôt peut-être on aurait à établir des relations tout autres que celles qu’on avait entretenues avec le vieil empire; mais l’accueil fait à la diplomatie européenne n’eut rien d’encourageant. On trouva une politesse extrême, mais pleine de circonspection et de réserve, le soin le plus attentif à éviter toute cause de conflit, mais le refus con-