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mal gré, dans la querelle tous ceux que les Chinois enveloppent dans la commune et méprisante dénomination de barbares de mer. Non qu’ils ne sachent très bien quelle différence existe entre Anglais, Français, Américains, Portugais, Espagnols, etc. ; mais dans leur système d’ombrageuse exclusion contre les peuples, quels qu’ils soient, que la navigation met en rapport avec eux, les gouvernans entretiennent avec le même soin contre tous la défiance et la haine populaires, qu’ils veulent toujours être maîtres de déchaîner. Ainsi dans les événemens de cette année a-t-on vu, quoique la querelle ne fût engagée qu’avec l’Angleterre, les Américains obligés de faire respecter à coups de canon leur pavillon outragé, le consul d’Espagne massacré, et le pain empoisonné du boulanger Alum également distribué à tous les consommateurs d’origine européenne. Les Russes mêmes, quoiqu’ils ne fassent point partie des barbares de mer, et que des traités spéciaux, dont nous aurons occasion de parler, leur assurent le privilège d’un trafic par voie de terre avec la Chine, ont commencé à essuyer quelques avanies, et si le pavillon français est demeuré jusqu’ici sans insulte, il faut l’attribuer au peu d’étendue de nos relations commerciales avec les ports du Céleste-Empire autant qu’à la ferme attitude de nos forces navales. Hâtons-nous d’ajouter que, fût-il vrai, comme on l’annonce, que le gouvernement chinois, sous la menace du danger qui le presse, offre aujourd’hui à la France, pour les griefs qu’elle a contre lui, des satisfactions séparées, il resterait encore à examiner si ces satisfactions, probablement illusoires, doivent être acceptées, si nous devons croire à ces inspirations momentanées de la peur plutôt qu’aux traditions hostiles d’une politique séculaire.

Il ne faut pas oublier en effet que la situation de l’Europe à l’égard de la Chine n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était il y a vingt ans. Les barbares de mer ne sont plus, comme ils l’étaient alors, admis par l’orgueilleuse tolérance du fils du ciel à un trafic dépendant uniquement de son caprice et de celui de ses mandarins. La guerre de 1842 a fait sentir aux Chinois tout le poids du bras de l’Angleterre, et elle a forcé leur gouvernement de se lier à l’Occident par la foi des traités. La Grande-Bretagne n’ayant rien stipulé pour elle à l’exclusion des autres peuples, les États-Unis n’ont pas tardé à obtenir pour leur commerce des conditions analogues à celles que le commerce anglais avait réclamées. La France enfin, sous un gouvernement aussi soigneux de sa prospérité que de sa liberté, s’est présentée à son tour pour mettre sous la protection des traités tous les intérêts qu’elle avait en Chine. Les négociations, habilement conduites en 1844 par M. de Lagrené, ont eu le double effet d’ouvrir à notre commerce des voies où il s’est trop timidement engagé, et d’assurer aux catho-