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y ait recueilli quelque chose de son prudent et élégant savoir-faire, et, racontée par lui, la veuve de Scarron se trouve un jour la femme de Louis XIV sans qu’on ait été un moment choqué ni même surpris de la transformation. La vérité n’est pas tout entière dans cet habile tableau, mais il n’y a rien que de vrai : on ne pénètre pas dans tous les replis du cœur et de l’esprit de Mme de Maintenon, on n’assiste pas assez à cette vie intime et secrète qui s’agite au fond de toute âme humaine et qui reste souvent obscure, volontairement ou involontairement, pour la personne même dont elle révèle la vraie nature ; mais les événemens et les actions, la conduite et la destinée de Mme de Maintenon, son caractère dans ses rapports avec le monde qui l’entourait, grands ou petits, riches ou pauvres, doctes ou humbles, sa bonté éclairée et active, l’élévation contenue de son esprit, son autorité sensée et douce, la liberté de son jugement dans sa royale servitude, tous ces mérites supérieurs, quoique un peu extérieurs, d’une nature riche et froide, très occupée des autres, par devoir ou par charité, quoique un peu égoïste, sont retracés par M. le duc de Noailles avec un art sincère, et de façon à laisser dans l’esprit des lecteurs une profonde impression d’estime et de bienveillance pour M"" de Maintenon, en les détournant du désir de regarder au-delà de ce qu’on leur montre. C’est un portrait incomplet, mais fidèle, peint en beau, mais ressemblant.

Il y a deux portraits, celui de Louis XIV à côté de celui de Mme de Maintenon : Louis XIV tel qu’on le rencontre à chaque pas dans les galeries de Versailles, roi du monde et dieu de l’Olympe, roi très chrétien, Jupiter, Apollon ou Mars, grand souverain et grande idole, grand conquérant sans être un grand guerrier, sérieux dans les affaires, amoureux de pompes et de fêtes, bien servi par de grands hommes et se servant très bien lui-même, le plus modéré et le plus honnête comme le plus brillant des rois absolus, et en même temps le plus éclatant exemple de l’impuissance du pouvoir absolu à fonder le bon et durable gouvernement des états. M. le duc de Noailles n’a pas expressément tiré cette dernière conséquence, et en lisant son livre on ne peut guère s’en étonner : c’est l’ouvrage, non pas d’un historien éloigné, mais presque d’un contemporain de Louis XIV et d’un grand seigneur de sa cour. Trop sensé et trop éclairé pour conserver aujourd’hui toutes les idées de ce temps, M. de Noailles en a les sentimens, les instincts, les goûts, les mœurs ; il y vit en le racontant ; il le décrit, il le défend, il l’explique, il l’excuse comme un témoin qui l’a connu et aimé, et qui l’aime encore et n’en parle qu’avec un regret presque personnel, comme on parle de sa jeunesse et de son propre passé. C’est même là un des mérites et des agrémens sérieux de son livre ; les jugemens n’y sont pas toujours exempts de prévention et de préoccupation partiale, mais l’impression générale en est naturelle et vraie ; ce n’est pas l’appréciation d’un juge indifférent, ce sont les mémoires d’un sage ami.

Cette disposition a entraîné M. le duc de Noailles à agrandir et à remplir de plus en plus son cadre. Autour de Louis XIV et de Mme de Maintenon viennent successivement prendre place toute la cour et tout le siècle. Le titre du livre est exact : c’est bien l’Histoire de madame de Maintenon et des principaux événemens du règne de Louis XIV. Peut-être aurait-il mieux valu dire : l’Histoire de madame de Maintenon et de la société française sous le règne de Louis XIV. C’est en effet le tableau de la société plutôt que le récit des événemens ; les personnages, leurs caractères, leurs mœurs,