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les paroles de M. de Decker, dans l’unique pensée d’associer les efforts de la charité privée à l’action de la charité publique. M. de Decker demandait que cette grande question fût abordée et résolue en dehors de toute considération de parti. C’était l’illusion d’un esprit sincère et honnête. Les partis, un peu désorganisés depuis quelque temps, ont retrouvé là en effet un champ de bataille. Ce qu’on peut dire du moins, c’est que le pays dans les élections dernières a pu se prononcer en pleine connaissance de cause sur le projet du gouvernement.

La difficulté ne consiste pas précisément dans l’organisation des établissemens publics de bienfaisance, qui est un des objets de la loi aujourd’hui en discussion. Sur ce point, il ne peut y avoir que des dissidences secondaires. La difficulté commence là où il s’agit de préciser les droits de la charité privée, et c’est de la divergence qui s’est produite dans l’interprétation de ces droits qu’est venue la nécessité d’une loi nouvelle, définitive. Les catholiques extrêmes sont pour la liberté absolue de la charité, qu’ils ne séparent pas de la pensée religieuse, d’où elle émane, et partant de là, ils nient la compétence de l’état ; ils demandent une sorte de décentralisation universelle de la charité, ils réclament pour les particuliers le droit illimité d’instituer des fondations et d’en confier après eux l’administration à qui bon leur semble. Les dernières conséquences de ce système ne sont point difficiles à apercevoir : l’état n’est plus rien, la main-morte renaît indirectement, les personnes civiles se multiplient, il se forme une puissance indépendante ayant son budget, ses moyens d’action, toute une armée de fonctionnaires spéciaux. Les libéraux, au contraire, ne tiennent nul compte de la pensée religieuse, source première de la charité ; ils annulent le droit individuel, ils veulent tout centraliser entre les mains de l’état, et ils arrivent à faire de la charité une chose purement officielle, administrative. Ils ne réussiraient pas même autant qu’ils le pensent en Belgique, s’ils triomphaient, car s’il ne restait plus que l’état, la charité, comme cela s’est vu bien des fois, serait encore ingénieuse à tromper la loi par des fidéi-commis. Le ministère belge a essayé de concilier ces divers systèmes, ou du moins de dégager de cette confusion d’idées contraires une solution supérieure et équitable. Ainsi le projet du gouvernement fait la part du droit individuel en assurant aux particuliers la liberté de créer des fondations et de désigner soit des administrateurs de ces fondations, soit des distributeurs spéciaux des secours institués en faveur des indigens ; mais en même temps les droits de l’état sont placés sous la garantie d’un ensemble de dispositions tutélaires propres à prévenir les abus.

Est-ce à dire que le cabinet de Bruxelles ait prévenu tous les abus possibles et surmonté toutes les difficultés ? Il a été fait certainement de fortes objections dans la discussion parlementaire, et le gouvernement a tenu compte des plus sérieuses, puisque M. Nothomb vient de proposer divers amendemens, dont l’un consiste à ordonner qu’il sera rendu compte tous les ans aux chambres de la situation des établissemens de bienfaisance. Tel qu’il est, le projet ministériel ne rencontre pas moins l’opposition ardente des libéraux, tandis que d’un autre côté il est soutenu et défendu par les catholiques, c’est-à-dire que les deux anciens partis de la Belgique se trouvent recomposés et de nouveau en présence. Le parti libéral surtout s’est fait une arme du projet de loi sur la charité, qu’il représente aux yeux du pays comme un essai de rétablissement des couvens et de la main-morte, ce qui est une vé-