Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle montre l’embouchure de grandes rivières calmes, silencieuses, bordées de manguiers et d’énormes palétuviers, sur lesquelles glisse sans bruit le bongo (pirogue) de l’Indien, allant se perdre sous quel- que voûte de verdure dans l’inextricable réseau des bras du fleuve. Ailleurs elle se contourne en magnifiques baies comme celles de Bahia-Honda, Pivay, et Pajaro, que dominent des montagnes toutes vêtues d’une splendide et impénétrable végétation. Au bord de l’eau se dressent, comme une gigantesque muraille, des arbres hauts de cinquante pieds, aux troncs enguirlandés par d’innombrables plantes grimpantes, qui s’enlacent de mille manières et retombent sous mille formes; çà et là un coin de gazon, et de distance en distance une cascade tombant du haut d’une falaise dans la mer. C’est la nature vierge dans sa gloire, sur un point où l’esprit entreprenant du XIXe siècle aurait dû, ce semble, porter déjà son audacieuse activité. Faut-il désirer pour cette belle province la venue de l’Américain, ou souhaiter qu’elle soit annexée à la paisible et industrieuse république de Costa-Rica, sa voisine? Aujourd’hui elle est comprise dans la mesure qui a séparé en partie le territoire de Panama du reste de la Nouvelle-Grenade, mais on ne voit pas quel avantage elle en peut retirer. Seule de toutes les puissances européennes, l’Angleterre voulut y prendre pied par l’acquisition de l’île Coïba, à laquelle se refusa le gouvernement de Bogota. Le jour viendra pourtant où quelque intervention étrangère saura tirer parti de cette riche nature en y répandant l’industrie, l’agriculture et le commerce, si un courant d’immigration paisible n’y établit une nation.

Après un séjour de près de trois mois sur les côtes de Veraguas, je visitai celles de Costa-Rica. En sortant du golfe Dulce, connu par la profondeur de ses eaux et par une tentative avortée de colonisation française, j’abordai à Punta-Arenas, dans le golfe de Nicoya. C’était par une soirée du mois de février, époque où le grand produit du pays, le café, arrive de l’intérieur pour être embarqué sur les navires. La ville goûtait le repos qui suit une journée bien remplie; les habitans respiraient la fraîcheur devant leurs maisons, dans leurs petits jardins; plus loin, des boutiques éclairées attiraient les promeneurs; les pulperias (cabarets) retentissaient de la joie bruyante des matelots. Çà et là campaient en plein air les gens de l’intérieur qui avaient apporté le café, assis par groupes auprès de leurs chariots qui encombraient les rues, causant, jouant ou dansant, tandis que leurs grands bœufs, dételés et couchés, ruminaient devant quelques poignées de zacate (fourrage de maïs vert). Déjà quelques chariots se mettaient en marche pour le retour; d’autres arrivaient encore, s’annonçant de loin par le grincement aigu de leurs roues pleines et massives, mal ajustées sur un essieu grossier. Je fus séduit par l’originalité de ce tableau, qu’éclairait irrégulièrement la