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Toutefois les troubles de l’Irlande ou les désordres de Kidderminster, quand même ils auraient été suivis d’autres émeutes au lieu de rester circonscrits à une seule ville d’Angleterre et en dehors de l’Angleterre à quelques districts isolés, ne pouvaient faire courir aucun danger à la société ou au gouvernement. Ils n’étaient provoqués que par des passions grossières et brutales qui n’avaient aucun cri de ralliement; ils n’avaient d’autre importance que celle de rixes privées, et ils ne dérangent pas ce merveilleux accord qui, même au sein de la lutte légale des partis, ne met aux prises ni les classes entre elles ni le pays avec le gouvernement.

C’est parce que l’Angleterre n’est pas un pays révolutionnaire qu’elle est et demeure un pays libre. En effet, dans tout ce peuple des villes et des campagnes réuni dans les meetings, assemblé devant les hustings, y exerçant bruyamment son droit d’approbation ou de critique, et appelé sur la place publique pour y entendre discuter toutes les causes, ce sont les sentimens conservateurs qui n’ont pas cessé de prévaloir. On peut voir des hommes presque en guenilles interroger des candidats sur leurs opinions, leur demander des engagemens, leur témoigner sans ménagement leur opposition, et en même temps on peut s’assurer avec surprise que les habitudes de déférence gardent sur eux tout leur empire : ils se découvriront devant celui dont ils repoussent avec le plus d’hostilité la candidature, et même ils n’oublieront pas, si le candidat qui parle sur les hustings porte le titre de lord, de l’interpeller en lui criant : Mylord. Il faut ajouter que de tels égards sont réciproques, et ce n’est pas seulement aux jours d’élection qu’on verrait les héritiers des plus vieilles familles se mettre en rapports suivis avec leurs ouvriers ou leurs paysans, se déclarant même honorés, comme le disait l’un d’eux, de serrer des mains qui portent les respectables empreintes du travail. « Les classes supérieures ont gardé l’attachement et la confiance du peuple parce qu’elles ne s’en sont jamais isolées; elles se sont montrées sans relâche sincèrement dévouées à tous ses besoins, profondément émues et activement préoccupées de ses souffrances, et disposées à payer de leur bourse et de leur personne pour prendre l’initiative de toutes les mesures destinées à perpétuer leur légitime popularité[1]. » Aussi sont-elles restées comme l’état-major du pays, prêtes à se porter en avant pour prendre la direction de toutes les causes, et n’ayant jamais eu à défendre des intérêts de caste parce qu’elles n’ont pas cessé de prendre la défense des intérêts publics. Le spectacle des élections peut contribuer à faire reconnaître que l’Angleterre, comme on l’a dit si justement, a la démocratie la plus aristocratique et l’aristocratie la plus démocratique que le monde ait connues. La haine ve-

  1. M. de Montalembert, de l’Avenir politique de l’Angleterre, p. 24.