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vent donner encore un démenti à tous ceux qui, en invoquant les anciens spectacles des journées d’élection, aujourd’hui si changés, seraient tentés de chercher dans les assemblées électorales de la Grande-Bretagne des lieux de pugilat.

Dans l’Angleterre et l’Ecosse, la libre réunion de tout un peuple convoqué dans ses comices pour le choix de 551 députés n’a été l’occasion de scènes de violences que dans une seule ville : c’est seulement à Kidderminster qu’une foule en fureur, irritée de l’échec du candidat conservateur, s’est précipitée à coups de pierres sur les partisans du candidat libéral à la fin de la journée du poll, et les a difficilement laissé échapper à sa rage. Un tel attentat, auquel les électeurs n’ont pris aucune part, et qui témoigne seulement de la mutinerie d’une populace égarée, ne doit pas être passé sous silence, et il donne des enseignemens dont il faut tenir compte. Par l’indignation qu’il a soulevée de toutes parts, il a pu montrer que le pays n’est plus disposé à supporter le retour des anciens jours de désordre, et il a contribué aussi à donner l’exemple de l’énergie civile qui met à l’abri de toute défaillance les mœurs politiques de la nation. Les récompenses qui ont été promises pour la dénonciation des coupables, les sommes qui ont été souscrites pour couvrir les frais de la poursuite, peuvent apprendre à ceux qui l’ignorent ou qui sont tentés de l’oublier que des soulèvemens de factieux ne pourraient pas trouver en Angleterre des complices qui s’y associent pour en profiter, ou des indifférens qui s’y résignent pour s’épargner la peine d’y résister.

La même justice ne peut pas être rendue aussi complètement à l’Irlande; sur cent cinq élections, douze ont donné lieu à de tristes scènes de violences. Plus d’une fois ces émeutes populaires auraient pu être facilement conjurées; partout au moins elles ont promptement cédé à la répression, quand les mesures de prévention n’ont pas été suffisantes. Mais en Irlande, comme à Kidderminster, ce ne sont pas les intérêts ou les passions de parti qui ameutaient les séditieux; c’était le goût du désordre, habilement exploité au profit de tel ou tel candidat, qui mettait en mouvement une population toujours habituée à s’emporter plutôt qu’à raisonner. D’ailleurs comment oublier que l’Irlande n’est pas l’Angleterre, et que trois siècles d’oppression Pont mal disposée à l’exercice pacifique des droits dont la longue pratique peut seule faire l’éducation politique d’un peuple? L’Irlande n’est, à vrai dire, qu’une affranchie, et si, malgré le progrès constant qui permet d’opposer avec succès l’lrlande d’aujourd’hui à l’Irlande d’autrefois, elle trouble encore la légitime fierté que l’Angleterre peut tirer de ses institutions, c’est la moralité de l’histoire qui suit son cours, en apprenant que les vieilles injustices, même réparées, laissent après elles un lourd héritage d’embarras.