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Mme Sand ne voit pas même que cette emphase vulgaire n’est plus que le signe bizarre des défaillances de la véritable inspiration.

Esprit ardent et inégal, organisation fougueuse et incomplète, imagination puissante et raison faible, Mme Sand a été malgré tout assurément une des plus curieuses natures littéraires de ce temps, et par ses facultés, et par l’action qu’elle a exercée, et par ses égaremens mêmes. De toutes les causes qui ont si étrangement contribué à pervertir un si brillant talent, j’en voudrais dégager une primordiale, profonde, qui est venue en aide à toutes les autres : c’est que Mme Sand a voulu être plus qu’une femme ou autre chose qu’une femme, lorsque son génie était avant tout essentiellement féminin. Si elle l’eût voulu, elle aurait pu certainement couronner d’un merveilleux éclat cette tradition littéraire des femmes qui, à ne prendre que le roman, commence à Mme de La Fayette en France. Lui chercher absolument des modèles dans le passé serait difficile. Elle n’aurait jamais eu, je pense, cette délicatesse et cette grâce suprême qui ont fait de la Princesse de Clèves une des plus charmantes peintures de la passion dans une société de gentilshommes; elle eût été le conteur plus large, plus libre, plus saisissant d’une société si complètement transformée. Sans avoir moins d’esprit que bien des femmes du XVIIIe siècle, elle aurait eu plus d’éloquence, plus de génie inventif et créateur. Avec moins de sûreté de jugement et moins de fermeté d’intelligence que n’en eut Mme de Staël dans les choses philosophiques ou politiques, elle aurait eu toujours un plus vif sentiment de l’art, plus de grâce et de facilité de récit. S’il est une femme de qui elle se rapproche, c’est une personne qu’elle a fait oublier, dont la vie fut douloureuse et courte, et qui fit de ses romans, au commencement du siècle, l’écho de son âme brûlante; c’est Mme Cottin, l’auteur de Malvina et d’Amélie de Mansfield. Dans les ouvrages des deux écrivains, on trouverait plus de points de ressemblance qu’on ne le suppose. Mme Sand n’a pas plus de feu dans l’expression intense et vive de la passion, mais elle a plus d’étendue, plus de poésie, et elle possède surtout le sentiment pittoresque, qui manquait à Mme Cottin, cet art merveilleux de faire revivre un paysage dans sa vérité et dans sa fraîcheur. Enfin cette tradition, Mme Sand aurait pu la continuer en l’agrandissant, en l’enrichissant de créations nouvelles; elle eût été la dernière venue et la plus éloquente de toutes les femmes qui ont laissé la trace de leur génie ou de leur esprit dans les lettres en France.

Cela n’a point suffi à cette inquiète activité; Mme Sand a eu l’ambition d’être plus qu’une femme, je le disais, et elle n’a point réussi à coup sûr. Comment eût-elle réussi? Elle a voulu abdiquer son sexe, oubliant qu’une femme se trahit toujours par un geste, par les habitudes de son esprit, par sa façon d’observer et de sentir, par toutes