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sur ce perpétuel anachronisme moral. A tout prendre, c’est là peut-être l’explication la plus claire des singulières libertés que Mme Sand prend aujourd’hui à l’égard de bien des hommes de ce temps qu’elle a connus, et qu’elle croit devoir introduire dans ses mémoires sans les avoir consultés. Il ne faut pas s’en étonner, la vie est si longue, les impressions se succèdent si rapidement! Mme Sand a oublié ses relations d’autrefois, elle a oublié ses amis, ou, s’il lui en souvient, il ne lui en souvient guère, et même au besoin, pour mieux attester sans doute l’impartialité de l’historien, elle les exécute merveilleusement avec une grâce supérieure et un magnifique détachement du passé, comme elle juge chaque chose du haut d’une philosophie puérilement prétentieuse qui travestit tout, même les scènes naïves de l’enfance. D’une plume libre et légère, elle sabre ses amis, ses souvenirs et la vérité.

Encore si Mme Sand n’avait pris de ces étranges libertés qu’avec ses amis, avec d’anciennes connaissances qui ont fait place à des connaissances nouvelles! mais elle est allée plus loin, et c’est là un des traits choquans de ce livre. Pour tout dire, l’auteur de l’Histoire de ma Vie a fait le contraire de ce que faisaient ces enfans d’autrefois qui jetaient un manteau sur la nudité de leurs parens. Chose bizarre ! Mme Sand n’a point dit sur elle-même ce qu’elle ne devait pas dire, ce qu’elle ne pouvait pas dire, ce que nul ne lui demandait d’ailleurs, et en même temps elle s’est crue autorisée à dire sur sa mère ce que personne ne savait, ce qu’elle pouvait bien certes se dispenser de révéler sans diminuer l’intérêt de son récit, car enfin qui pouvait éprouver le désir de savoir que cette mère avait eu une jeunesse orageuse, exposée « à des hasards effrayans, » qu’elle était de l’état-major de nos armées dans les campagnes d’Italie, et qu’elle avait eu à quitter « une riche protection » pour suivre le père de Mme Sand? Il est vrai que l’auteur aussitôt se tourne vers la société pour l’accabler de ses objurgations et pour rejeter sur elle la responsabilité de tous les entraînemens d’une jeune fille qui tombe après être venue au monde avec sa beauté pour tout patrimoine. Le thème n’est point nouveau, comme on voit; il traîne dans toutes les fictions de Mme Sand, et c’est là vraiment sa place. Rapproché de ces tristes réalités, ne semble-t-il pas indiquer la pensée secrète d’aller chercher jusque dans la révélation des misères maternelles de quoi étayer un sophisme? Ou bien notre contemporaine, en mettant le nom de sa mère, fille du peuple, à côté de celui de son père, petit-fils du maréchal de Saxe, a-t-elle cédé à la fantaisie de se montrer dans la double splendeur de son origine aristocratique et plébéienne? On ne le sait. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que Mme Sand, interrogée un jour sur les Mémoires de Chateaubriand, répondait d’un ton leste : « C’est un ouvrage sans mora-