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même, une puissance d’observation tout impersonnelle, l’art de ressaisir les caractères les plus divers, une certaine conception générale de la nature humaine et de ses mobiles. Lorsque l’auteur de Mauprat, allant d’expérience en expérience, a voulu à son tour tenter la fortune du théâtre, qu’est-il arrivé? On s’est montré facile pour ses premiers essais, par une secrète considération pour le talent d’autrefois, pour le conteur émouvant. Avec un peu de sévérité ou un peu plus de liberté, on eût dit que Mme Sand se trompait, qu’elle n’inventait rien, et que ces œuvres dramatiques, qui ont menacé un moment de devenir nombreuses, n’étaient, à tout prendre, qu’un reflet diminué de toutes les inspirations et de tous les personnages que l’auteur a semés dans ses romans. Claudie, qu’est-ce autre chose que ce thème épuisé de la réhabilitation de la faute et de la vertu purifiante de la passion, thème singulier dans un cadre de scènes rustiques? Dans Françoise, c’est encore une de ces éternelles providences féminines dont l’accablante supériorité a la monotonie du sophisme. Flaminio, c’est la fantaisie, c’est le génie dans le vagabondage et dans la vie de bohème; Flaminio est une édition nouvelle d’un roman oublié, de Teverino. Favilla, c’est l’artiste, c’est le joueur de musique réunissant toutes les perfections morales, et faisant honte au médiocre philistin.

C’est ainsi qu’on voit se succéder toutes ces inventions qui n’ont plus rien de nouveau, et qui, en passant du roman au théâtre, perdent leur originalité et leur relief. Ici, en effet, le poète n’a plus pour le soutenir la facilité du récit, l’abondance du lyrisme, la fécondité des descriptions pittoresques. Il ne reste que deux choses au théâtre, l’action et les caractères; or c’est là justement qu’éclate l’inaptitude de Mme Sand, et dans cette dangereuse perspective de la scène il est bien plus aisé d’observer ce qui manque à ces personnages dénués de vie et de vérité, à ces drames sans mouvement, à ces bergeries mises en dialogue. Les paysans de Mme Sand, il faut le dire, ont eu tout particulièrement à souffrir de cette transformation, car ce qu’ils ont de faux et de prétentieux est devenu plus apparent. Ils intéressaient dans le roman, ils ne font plus illusion au théâtre. Otez à la Mare au Diable ou à la Petite Fadette une certaine couleur poétique et ce souffle qui renaît par intervalles, vous aurez quelque drame vulgaire comme le Pressoir. Ce ne sont pas des paysans faux comme ceux du XVIIIe siècle, ils sont faux d’une autre manière en faisant la leçon à la société, sans devenir surtout des personnages plus vivans et plus dramatiques. Mme Sand n’a point réussi et ne pouvait réussir au théâtre, parce que c’était une tentative en dehors des facultés naturelles de son génie. Elle s’est dit sans doute que ce qui ne valait plus la peine d’être conté pouvait encore être mis en vaudeville.