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de son mal, parce que des flatteurs lui ont dit que c’était là une marque de génie.

Ce qui a toujours fait illusion chez l’auteur de Mauprat, c’est l’artifice de la parole, c’est une vive et séduisante éloquence. Plus que tout autre écrivain dans notre temps, Mme Sand réunit tous ces dons merveilleux du récit, de la description, d’un lyrisme spontané et débordant; elle excelle à désarmer par le charme de son art et à surprendre en jetant sur tout ce qu’elle touche comme un voile éblouissant de poésie. Écartez ce voile, vous trouverez une nature intellectuelle pleine de ressources il est vrai, mais aussi pleine de faiblesses et de mystérieuses contradictions, frivole et fanatique, blasée et inassouvie, prétentieuse avec mille affectations de simplicité et d’abandon, une nature qui aime à dominer et qui plie sans discernement sous les dominations les plus vulgaires. Tribuns, philosophes incompris, sophistes obscurs ou musiciens de haute école, peu lui importe; elle se fait un panthéon familier peuplé de dieux assez bizarres. Avec une finesse d’observation bien réelle, Mme Sand manque de véritable délicatesse, et les plus poétiques élans cachent mal ce qu’il y a parfois de grossier en certains mouvemens d’imagination. Avec des dons supérieurs, elle manque même souvent d’esprit, ou plutôt c’est un esprit versatile et déréglé qui s’agite dans le vide, qui prend des aspirations vagues ou des engouemens pour des idées et d’insatiables désirs pour des lois morales. Ce n’est point là peut-être l’image qu’on se crée d’habitude quand on cherche à se représenter cette exceptionnelle personnalité littéraire; la poésie, si l’on veut, perd un peu à ce portrait, la vérité y gagne. Cela ne diminue pas le talent qu’a eu Mme Sand, qu’elle a montré en ses plus belles heures : on comprend mieux les égaremens de cette imagination plus hardie et plus capricieuse que juste; cela explique surtout comment, après avoir semé sur sa route tant d’histoires brillantes, Mme Sand en est venue par degrés à ses dernières œuvres, — à ses romans actuels, qui semblent n’être plus que des variations sans éclat et sans nouveauté sur des thèmes connus, à son théâtre, qui n’est que la reproduction terne et effacée de ses romans, et enfin à ce livre, l’Histoire de ma Vie, qu’on ne peut considérer que comme une opération mal venue d’industrie littéraire, comme une provocation indiscrètement ou trop habilement jetée à des curiosités malsaines qui ne pouvaient au demeurant être satisfaites.

Ce n’est point évidemment que les derniers ouvrages de l’auteur de Valentine soient dénués de tout intérêt et qu’on n’y retrouve encore de ces traits de génie naturel dont l’écrivain a le merveilleux secret. A prendre cette étrange carrière dans son expression la plus récente, on peut dire que c’est la lutte extrême et inégale d’un talent supérieur aux prises avec trois dangereux ennemis : l’inquiétude