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production sans limites. Mme Sand, comme elle l’a dit, s’est pénétrée de bonne heure de cette vérité, que « dans notre société toute factice l’absence totale de numéraire constitue une situation impossible ; » elle s’est arrangée pour déclamer contre la société factice et pour s’assurer une situation possible. Chose surprenante, dira-t-on, que ce mélange de préoccupations très positives et d’aspirations idéales ! Chose bien simple au contraire, et qui se voit tous les jours ! On fait marcher ensemble le calcul et l’utopie, un matérialisme mal déguisé et un certain mysticisme prétentieux, la vulgarité et le rêve, et le dernier mot de ces mélanges est la falsification de tous les instincts simples et vrais de l’âme humaine.

La raison secrète et fatale de ces déviations. Mme Sand a pu la trouver en elle-même, sans aller plus loin ; mais il est surtout une influence qui a été comme l’épreuve suprême de son talent, et qui a énervé ses plus brillantes qualités en donnant à ses défauts une intensité périlleuse : c’est l’influence de toutes les idées sociales, démocratiques, révolutionnaires. Il fut pourtant un moment dans l’origine où Mme Sand semblait entrevoir le piège. « L’art seul est simple et grand, disait-elle, restons artistes, et ne faisons pas de politique. » On a su depuis, il est vrai, ce qui se cachait sous ce mot ; alors l’artiste séduisait par le charme émouvant de ses premiers récits, en écrivant André, et bien des hommes, ne voyant que le conteur, s’attelaient au char de cette gloire naissante. L’auteur de Valentine n’a pas su ou n’a pas voulu rester ce séduisant artiste des premiers jours. Pour une imagination plus mobile que forte, c’était d’ailleurs une dangereuse époque. Le fanatisme couvait dans certains cœurs exaltés par une révolution récente ; les passions éclataient dans des batailles de rues, dans des luttes audacieusement engagées avec la justice ou dans les dissolvantes prédications de tous les systèmes de régénération sociale. Mme Sand ne résista point ; son malheur est d’avoir eu toujours un goût prononcé pour les tribuns, les sophistes et les sycophantes qui l’entouraient, qui la flattaient pour se servir comme d’un porte-voix de cette merveilleuse faculté de vibration lyrique. Un poète, une femme éloquente qui croyait avoir à se plaindre de la société, c’était plus qu’il n’en fallait.

Qu’on se représente un instant notre contemporaine s’initiant aux doctrines de l’avenir, entre minuit et trois heures du matin, sur le pont des Saints-Pères ou dans les rues de Bourges, avec Everard, qui depuis….. ; mais alors c’était Éverard, celui des Lettres d’un Voyageur, non l’Éverard quelque peu détérioré de l’Histoire de ma Vie. Ce ne fut pas le seul initiateur, on le sait bien. Mme Sand a cru peut-être faire preuve de virilité et s’élever au-dessus du niveau de son sexe en se jetant ainsi dans la mêlée des systèmes, en plantant le drapeau d’un parti ou d’une école sur ses œuvres légères ; jamais