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Slesvig, fief scandinave de sa couronne, au même titre qu’il était souverain du Danemark? A quoi bon la guerre soutenue pendant trois années par les Danois contre l’Allemagne, à quoi bon le meilleur de leur sang versé par eux, si ce n’était pas pour reconquérir ce duché de Slesvig, terre danoise? La diplomatie devait-elle le leur ravir après qu’ils l’avaient repris par les armes? Chacun croyait que le Slesvig devait être intimement rattaché au royaume et placé sous les mêmes institutions. Quand Frédéric VII déclarait que la monarchie danoise serait désormais une monarchie constitutionnelle, il n’entendait pas faire exception pour ce duché. Bien plus, négliger l’occasion offerte de faire cesser la conformité dangereuse des institutions du Slesvig et de celles du Holstein, isoler au contraire le Slesvig du Jutland et des îles danoises par le gouvernement et l’administration, qui exercent tant d’empire sur les mœurs, c’était créer un nouveau slesvig-holsteinisme, c’était semer les germes de nouvelles révoltes, c’était appeler la guerre avec l’Allemagne et le démembrement politique.

Quant au traité de Londres, qui désigne pour héritier de la couronne danoise le duc de Glucksbourg, il a fait disparaître les droits légitimes de nombreux héritiers que la descendance féminine plaçait entre la maison d’Oldenbourg, qui va s’éteindre, et celle de Holstein-Gottorp; il ne laisse plus entre elles que le duc de Glucksbourg et ses deux fils, encore enfans. Est-ce là une succession bien assurée? Joignez aux chances ordinaires de la mortalité humaine les hasards d’une épidémie subite; le duc et ses deux enfans ne peuvent-ils pas disparaître, et alors que reste-t-il? La maison de Holstein-Gottorp, dont le chef est sa majesté l’empereur de Russie, qui, dans la série de ses titres, n’a pas retranché celui d’héritier du Slesvig-Holstein, le même prince qui, hier encore, lors de la signature du traité de Londres, a formellement réservé les droits de sa maison. L’empereur de Russie, dites-vous, se trouvera réservé, dénué d’ambition, modeste, « grand et généreux. » Nous le voulons. Eh bien! le cas échéant, il ne prendra donc pas la couronne danoise ; même quand le fruit lui semblerait mûr, il ne le cueillera pas de sa main. Qu’importe, s’il envoie son serviteur pour le cueillir? Non, l’Europe ne le laissera pas s’emparer du Danemark; mais l’Europe ne pourra pas annuler sans doute ses droits de famille, ses vieux droits féodaux héréditairement transmis et légués, et vous reconnaîtrez pour roi de Danemark un de ses vassaux, un des cent princes allemands qu’il aura su envelopper dans la redoutable trame de ses alliances de famille. Et dès aujourd’hui comment le duc de Glucksbourg ne serait-il pas pénétré de reconnaissance envers la Russie, et comment lui reprocheriez-vous même cette reconnaissance qui part d’un cœur non