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une double révolution transformait à la fois les lettres et la politique. Dans la poésie lyrique comme dans la philosophie, dans l’histoire connue dans le roman ou au théâtre, partout éclatait un souffle ardent d’innovation. Enivrés par la lutte, les esprits poursuivaient la liberté dans l’art, l’originalité dans l’expression de la vie humaine, de même que dans la politique ils cherchaient, ils pensaient avoir trouvé la liberté incontestée et durable. C’est dans cette atmosphère brûlante du lendemain d’une révolution, dans ce pêle-mêle d’idées et de systèmes, crise morale d’une civilisation, que se révélait tout à coup un talent nouveau, inconnu la veille, et qui semblait n’avoir rien de commun avec les écoles régnantes. Ce nom même de George Sand inscrit sur les premières pages d’Indiana et de Valentine, qui paraissaient à peu d’intervalle, avait je ne sais quoi d’imprévu et de mystérieux, en sortant soudainement de l’obscurité. Était-ce le nom d’un homme? était-ce une femme qui prenait un déguisement pour mettre le pied sur la scène, après avoir fait, elle aussi, sa révolution de juillet? On ne le savait encore, bien qu’en regardant de près il fût difficile de se méprendre. Une chose n’offrait point de doute, c’était le talent de l’écrivain nouveau. Indiana et Valentine n’étaient point, il s’en faut, des œuvres accomplies, dans la plus entière acception de ce mot ; mais à tout ce qui portait la trace de l’inexpérience, à ce qui pouvait passer pour une réminiscence personnelle, venait se joindre d’une façon visible l’accent vibrant du poète, l’art d’un peintre émouvant et hardi. L’auteur avait surtout entre les écrivains de son temps le don merveilleux de faire mouvoir le drame de la passion humaine au sein d’un paysage enchanteur.

Vous souvenez-vous de cette scène de la Vallée-Noire où, sous la chaleur du jour, tous ces personnages, Valentine, Benedict, Louise, Athénaïs, se reposent à l’ombre, au bord de l’Indre? Louise, d’une main distraite, jette des feuilles dans le courant; Valentine contemple le jeune homme sans s’avouer ce qu’elle éprouve; Benedict suit dans l’eau les traits fuyans de Valentine, le cœur gonflé d’un amour naissant. Tout vit, tout palpite dans cette scène muette. C’est là ce qui n’a point vieilli, ce qui conserve sa jeunesse et sa fraîcheur. À cette époque et dans les années suivantes encore, Mme Sand se laissait aller avec une sorte de bonne grâce à la vie littéraire, jouissant de son succès avec une insouciance peut-être un peu affectée, restant dans son rôle de conteur et dominant tout autour d’elle par la séduction. Ses amis lui avaient décerné dans l’intimité le titre de reine de France, et ils n’ont pas perdu le souvenir d’un repas presque célèbre d’où le penseur Jouffroy se retira subjugué par cette image vivante de la poésie qui devait un jour se glisser dans la république malgré Platon,