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GEORGE SAND


SES MÉMOIRES ET SON THÉÂTRE





Dans ce monde éclatant et varié de l’imagination, il y a des talens dont la nature est un problème moral autant que littéraire. Ils réunissent tous les dons de la séduction, et ils portent le germe des plus dangereuses faiblesses. — Leur essence est semblable à celle de ces fleurs dont le parfum capiteux trouble et énerve. Ils ont la grâce sans la pureté ; ils ont l’éloquence extérieure, ils manquent de cette sève généreuse des esprits nourris dans une saine atmosphère ; ils ont l’instinct ardent de la passion, ils n’ont pas le sentiment de ce qui la relève et l’ennoblit. On dirait que chacune de leurs qualités est ternie par une ombre tous les jours envahissante, ou plutôt ils sont dans tout leur être un mélange de lumière et d’ombre, de bien et de mal, se livrant un perpétuel combat, dont chaque notion morale est par malheur le prix. Tant que la jeunesse dure, le charme de l’éloquence couvre merveilleusement cette lutte intérieure, en lui donnant presque un aspect héroïque, et jette dans les imaginations une sorte d’éblouissement. Dans le premier essor d’une nature vigoureuse, rien n’est plus difficile que de démêler le vrai et le faux, l’entraînement juste et le pli fatal d’une secrète corruption d’esprit ; mais à mesure que les années passent, le charme s’atténue, les défauts se prononcent, et l’éclat de la parole ne parvient plus à dissimuler le vide de la pensée. L’heureuse fécondité se change en abondance verbeuse, l’élan passionné se fige et devient le froid sophisme. Est-ce le même esprit ? est-ce la même imagination ? Il semble qu’il se soit opéré une métamorphose, et cependant il n’en est rien ; seulement le temps vient, il agit sur le talent comme il agit sur ces