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Tous les rois qui ont laissé dans l’histoire une trace glorieuse de leur passage comprenaient qu’ils avaient une tâche à remplir, et que le pouvoir ne leur était pas donné pour contenter leurs passions et leurs caprices. Henri IV était du nombre de ces rois. Il savait que sa tâche était de réconcilier les partis, et s’il n’a pas accompli son dessein comme il le souhaitait, il faut du moins lui rendre cette justice, qu’il n’a rien négligé pour toucher le but de son ambition. Sans être doué d’une intelligence supérieure, il possédait une sagacité qui pouvait abuser ses contemporains. Sa force était dans l’intelligence du passé. Toute sa vie politique doit s’expliquer par une préoccupation unique et constante : il voulait effacer autant qu’il était en lui le souvenir de la Saint-Barthélémy. Parvenu au trône après l’avilissement de la royauté par Henri III, il songeait surtout à réhabiliter la royauté, rendue odieuse par Charles IX. Le règne de Henri IV ainsi envisagé est un de ceux qui méritent l’attention la plus sérieuse et la plus sympathique. La réforme, combattue par François Ier avec le secours du bûcher, avait grandi dans la lutte. Charles IX avait cru pouvoir l’exterminer en versant le sang à flots ; mais le sang criait vengeance, et la réforme grandissait toujours. L’Espagne prit en main la cause de l’église romaine ; Henri III, affaibli par la débauche, répondit à la ligue par le meurtre de Blois. Henri IV prit pour règle de sa conduite le souvenir de François Ier, de Charles IX et de Henri III. Il sentit le besoin de réunir tous ses sujets dans une foi commune, et comme il désespérait de les réunir au pied des autels, il voulut du moins qu’ils fussent animés d’une confiance unanime dans la royauté. Nous savons par le témoignage des contemporains que ses vœux n’étaient pas demeurés stériles. Après avoir gagné sa couronne sur les champs de bataille, il s’efforçait d’effacer le souvenir de ses victoires, et confondait dans une même affection les vainqueurs et les vaincus. Pour conquérir le trône dans ces années difficiles, le courage ne suffisait pas ; il fallait jouer sa vie comme un soldat, et ruser comme si l’on ne payait pas de sa personne. Les seigneurs rangés sous le drapeau du Béarnais craignaient de vaincre trop vite et ménageaient leurs succès pour ne pas devenir inutiles. Pour garder près de soi de pareils capitaines, il devait unir la patience à la générosité. Il n’a pas failli un seul jour à ce double devoir. Il leur pardonnait de ne pas pousser trop avant ses affaires sans avoir arrangé leur fortune. S’il était permis de pénétrer, à la distance où nous sommes, les pensées secrètes du vainqueur d’Arques, je dirais qu’il n’aimait pas la royauté pour le seul plaisir de régner, mais pour le bonheur de faire le bien dans la plénitude de sa volonté. Je n’irais pas jusqu’à lui prêter le sentiment démocratique : son éducation, demeurée très incomplète, ne lui avait