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défie de l’émotion. Aussi son livre, envisagé au point de vue didactique, réunira de nombreux suffrages. Quant aux gens du monde qui cherchent dans l’histoire une distraction plutôt qu’un enseignement, je crains fort qu’ils ne lisent pas sans désappointement cette nomenclature de faits si laborieusement réunis. Qu’importe à l’auteur? Il a touché le but qu’il se proposait, et ne regrettera pas ses veilles. Il y a d’ailleurs dans ces pages, qui effarouchent d’abord les esprits frivoles par leur physionomie austère, de quoi exciter la curiosité. Les indolens, les désœuvrés qui ont peine à porter le poids de leurs loisirs, s’ils réussissent à surmonter leur frayeur, s’applaudiront bientôt de leur courage. Après avoir lu d’un œil attentif les cent premières pages, ils s’étonneront du monde nouveau qui s’ouvrira devant eux. Le spectacle des choses accomplies dans une période de vingt et un ans, en détachant leur pensée des mille puérilités dont leur vie se compose, leur donnera d’eux-mêmes une opinion meilleure. L’austérité de la forme, qui décourage les esprits sans vigueur, est une épreuve salutaire pour les esprits qui ne sont qu’engourdis et se réchauffent aux rayons de la vérité. On a tenté depuis quelques années de rendre la science amusante, et je ne crois pas que la science y ait gagné grand’chose. La science qu’on déclare ennuyeuse a cela d’excellent, qu’elle commande le silence et la modestie à ceux qu’elle effarouche. La science amusante fait croire aux ignorans qu’ils en savent assez pour parler en toute occasion, à tout propos. On aura beau s’évertuer, on ne fera jamais de l’histoire une lecture divertissante comme les contes de Perrault. L’intelligence du passé exige autant d’attention que l’intelligence des phénomènes astronomiques et physiologiques. M. Poirson n’a pas tenté de rendre amusant le règne de Henri IV, je ne m’en plains pas, car je ne confondrai jamais l’émotion produite par un récit bien fait avec le plaisir futile que donne le passé arrangé en roman.

Nous pouvons, après avoir lu le livre de M. Poirson, dessiner le caractère politique de Henri IV. Il ne dit rien de nouveau quant aux conclusions, mais les idées reçues trouvent dans les documens qu’il produit une confirmation imposante. Ce qui paraît évident dans la conduite de Henri IV de 1589 à 1594, c’est qu’il a parfaitement compris son rôle, et s’est attaché à le remplir avec une résolution qui devait amener le succès. Or quel était ce rôle? C’était un rôle de conciliation. Appartenant à la religion réformée, qui n’était pas celle de la majorité des Français, il ne pouvait, sans s’avilir, sans se déshonorer, abjurer la foi de sa famille. Il a très bien senti le côté délicat de sa position, et avant d’abjurer il a voulu conquérir son royaume. Il y avait dans la tâche qui lui était échue des difficultés sans nombre. Il en a triomphé avec un courage, avec une sagacité au-dessus de