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des preuves, je n’aurais que l’embarras du choix : l’ignorance ou l’oubli de l’histoire est trop facile à démontrer. Non-seulement les poètes qui mettent en scène les plus célèbres personnages du passé leur prêtent des actions et des paroles qui ne s’accordent pas avec leur caractère; mais parmi les hommes qui parlent du haut de la tribune, nous retrouvons trop souvent la même légèreté. Les orateurs qui connaissent la vie politique de leur pays composent une minorité affligeante. La chaire à cet égard n’est guère plus savante que la tribune. Je me souviens d’un sermon fort applaudi où ne manquaient pas les énormités historiques. Le prédicateur affirmait que Charles-Martel avait terrassé l’islamisme, et que François Ier avait exterminé la réforme. Eh bien ! ces énormités excitaient à peine l’étonnement de quelques auditeurs; la foule croyait le prédicateur sur parole. Dans un pays et dans un temps où de telles choses peuvent se dire et passent inaperçues, il est imprudent de compter sur l’érudition et la mémoire des lecteurs. Il ne faut pas leur dire seulement ce qui se rattache directement au sujet du livre, mais leur apprendre ce qu’ils doivent savoir pour saisir le sens de la première page. Et pourquoi nous en étonner? A quoi mène la connaissance de l’histoire? A penser. Ce n’est pas là un sujet de convoitise. Autant vaut dire que l’histoire ne mène à rien. Penser ne donne pas une position, réfléchir sur le passé n’est guère plus utile que de connaître la langue du Céleste-Empire.

L’historien ne néglige rien pour susciter dans l’esprit du lecteur des idées de nature diverse; il envisage avec une égale attention tous les aspects du règne de Henri IV. J’ai parlé de sa méthode, qui me paraît convenir aux sciences naturelles beaucoup mieux qu’à l’histoire. J’ai lieu de croire que mon opinion sera celle de tous les hommes qui ont lu et relu les grands historiens de l’antiquité. Néanmoins cette méthode, que je blâme parce qu’elle remplace la narration par l’exposé des faits, offre à ceux qui veulent étudier un avantage précieux. L’impartialité ou, si l’on veut, l’impassibilité de l’érudit laisse au lecteur une entière liberté. L’analyse des documens originaux, si complète, si fidèle qu’elle soit, ne peut être acceptée comme une œuvre vivante; mais si elle ne présente pas la vérité sous une forme animée, du moins elle la dégage, et celui qui veut l’exprimer n’a plus devant lui qu’une tâche facile. Il y a bien des livres historiques d’une forme plus séduisante qui ne portent pas le même profit. M. Poirson excelle à classer les faits. Il introduit dans son livre une nomenclature sévère qui plaît à tous les bons esprits. Il croit que l’émotion se concilie malaisément avec les devoirs de l’enseignement, et comme son but n’est pas de nous offrir un plaisir passager, mais de graver dans notre mémoire l’image de la vérité, il se