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tion ; mais si mon espérance s’accomplit, l’étude de l’histoire aura certainement joué un rôle immense dans cette transformation morale, qui mérite bien autant d’attention et de sollicitude que les transformations de l’industrie. Il n’est pas dans la nature de la philosophie de devenir jamais populaire. L’histoire au contraire, si l’on consent à la présenter sous une forme vivante, en la dégageant de tout ce qui n’appartient pas au récit proprement dit, l’histoire s’adresse à tous les esprits, et quand tous les esprits seront amenés à s’en occuper, un monde nouveau s’ouvrira devant les générations assez heureuses, assez sensées pour ne pas mettre les intérêts au-dessus des principes. Pour que l’histoire soit vraiment digne d’occuper une nation entière, il ne faut pas qu’elle se contente d’exciter la curiosité; il faut que les faits soient caractérisés en même temps que racontés, de manière à servir de leçons. L’histoire ainsi présentée ne peut manquer de porter ses fruits; mais le nombre des écrivains qui conçoivent ainsi le récit du passé est malheureusement bien restreint.

Je ne m’étonne pas que tant de lecteurs soient dépourvus de sens moral. Il y a d’excellentes raisons pour qu’ils en soient dépourvus, c’est que la plupart des historiens attachent plus d’importance à la révélation de faits nouveaux qu’à l’estimation des hommes et des choses. Ils tiennent à montrer l’étendue de leur érudition, et négligent trop souvent de caractériser les événemens en prenant pour guides des principes sévères. Or, comme les trois quarts des lecteurs ne sont pas en mesure de contrôler les pages qui passent sous leurs yeux, ce n’est pas merveille si l’insouciance morale des historiens se retrouve dans la foule. Le problème à résoudre dans la composition d’une monographie historique, c’est de concilier l’exactitude, le nombre et la variété des détails avec le respect du sens moral. M. Poirson, j’aime à le dire bien haut, s’en est vivement préoccupé. On sent à chaque page de son livre qu’il ne sépare pas la conscience de l’érudition, ou plutôt que, privée du contrôle de la conscience, l’érudition n’est à ses yeux qu’une chose sans valeur. Il veut que la connaissance de la vérité mène à la pratique du bien, et lors même qu’il n’aurait pas puisé dans les documens originaux que nous possédons sur le XVe et le XVIe siècles de quoi renouveler la physionomie de cette période, il se détacherait de la plupart des écrivains qui ont traité le même sujet par la franchise et la fermeté de ses principes. Il aime la justice, et ne néglige aucune occasion de le prouver. Ce mérite n’est pas vulgaire, et suffirait pour lui concilier notre sympathie. On suit avec confiance un maître qui n’oublie jamais le droit pour s’incliner devant le fait. Le passé jugé par lui, à mesure qu’il le raconte, nous intéresse comme un événement accompli sous