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rien négligé pour s’éclairer. Enseveli dans l’étude du passé, il assiste sans passion et sans colère à tous les âges de l’humanité; il ne s’émeut pas, parce qu’il sait le passé tout entier. Il vaudrait mieux s’émouvoir, oui, sans doute; mais quand on n’a pris aucune part au gouvernement de son pays, quand on a vécu dans le commerce des livres, il n’est pas étonnant que l’on juge les événemens autrement qu’un homme mêlé à la vie publique. La comparaison des faits, en élevant l’intelligence, attiédit parfois le cœur. Il ne faut pas s’indigner contre cette impassibilité apparente. Les écrivains mêmes qui ne semblent pas s’émouvoir ne sont pas indifférens aux choses qu’ils racontent, mais, prenant l’histoire comme une matière purement scientifique, ils ne veulent pas paraître déroger, et dédaignent tout ce qui paraît ressembler à l’émotion. Les livres qu’on est habitué à déclarer inanimés sont souvent plus profitables que les livres déclarés vivans. Aux livres en effet qui éblouissent par une parole ardente, il manque souvent la connaissance des faits. Les monographies écrites par des hommes studieux et sincères sont une bonne fortune pour ceux qui aiment à s’instruire; il y a dans ces livres, conçus en dehors de toute passion, un charme singulier. Un homme qui oublie le monde entier pour étudier une période comprise en d’étroites limites arrive à découvrir un nombre infini de choses inattendues, souvent même il ne prévoit pas la portée de ses découvertes; mais que nous importe? Il nous révèle des vérités que nous n’aurions pas entrevues. C’en est assez pour que nous lui prêtions une attention vigilante, et son œuvre est d’autant plus digne de notre sympathie, qu’elle peut réveiller dans les cœurs les plus tièdes, dans les esprits les plus indolens, les passions les plus généreuses.

L’histoire est l’étude la plus féconde, la plus salutaire que les peuples puissent se proposer. Si, en présence de chaque événement qui bouleverse la face d’un pays, la foule pouvait se rappeler les événemens de même nature qui ont agité les générations précédentes, j’ose croire que les révolutions deviendraient plus rares. La foule ne puiserait pas dans la connaissance de l’histoire le goût de l’immobilité, mais le sentiment de son droit, et le jour où ce sentiment deviendrait populaire, il n’y aurait plus ni découragement ni surprise. Une nation s’interrogerait comme un homme s’interroge, et trouverait dans son passé des leçons éloquentes pour sa conduite dans le présent; elle ne marcherait plus au hasard, mais s’avancerait d’un pied ferme vers le but marqué par l’expérience et la raison. La connaissance de l’histoire fait d’une nation adolescente une nation virile. C’est là une vérité vulgaire parmi les hommes studieux, qu’il ne faut jamais perdre de vue. En présence de cette vérité, toutes