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était synonyme de frivolité, et je dois reconnaître que trop souvent les lecteurs se rangent à leur avis. Un récit qui émeut inspire la défiance. La Grèce et l’Italie, qui nous ont laissé d’incomparables modèles de narration historique, procédaient autrement que les écrivains modernes. Elles ne séparaient pas l’art de la science, et je crois qu’elles faisaient bien. Les historiens qui ont excellé parmi nous tiennent compte de leurs enseignemens. Ils s’efforcent de connaître les faits comme pourraient les connaître les témoins oculaires, et quand ils sont en possession de la vérité, ils la présentent tantôt en orateurs, tantôt en poètes. C’est ainsi que procédait Augustin Thierry, c’est ainsi que procède aujourd’hui M. Thiers. Les beaux récits qui nous émeuvent dans l’Histoire du Consulat et de l’Empire ne seraient pas ce qu’ils sont, si l’auteur n’eût tenté la conciliation de l’art et de la science; mais ce qu’il a fait, il est à peu près certain qu’il n’aurait pas pu le faire, si, au lieu d’embrasser la période comprise entre le 18 brumaire et la bataille de Waterloo, il se fût proposé comme sujet de narration une période plus longue. Quand il s’agit de parler aux penseurs, on peut résumer les événemens et les caractériser en quelques traits hardis; quand il s’agit de parler à la foule, résumer est dangereux, ou du moins il est difficile d’émouvoir la foule en résumant les faits. Ce qui plaît au plus grand nombre des lecteurs, ce qui grave dans leur esprit le souvenir des événemens, c’est un fait raconté dans tous ses détails, et pour l’application d’une telle méthode, la monographie est excellente, car cent volumes ne suffiraient pas pour raconter la vie entière de la France comme M. Thiers vient de nous raconter le consulat et l’empire. La prise de Saragosse, qui sera comptée certainement parmi les modèles de narration, aurait perdu la meilleure partie de son intérêt, si l’auteur eût été obligé de se renfermer dans un petit nombre de pages. Si la prise de Saragosse est pleine de vie et d’angoisse, si elle excite tour à tour l’admiration et la pitié, c’est que nous assistons heure par heure à toutes les péripéties de ce drame sanglant. Résumées en quelques pages, la défense et la prise de Saragosse ne pourraient intéresser qu’un petit nombre d’esprits. Or l’histoire qui raconte la vie des nations doit s’adresser aux nations tout entières. Il faut qu’elle émeuve si elle veut instruire, pour émouvoir elle ne peut se dispenser de présenter les faits sous un aspect animé, et comme il est impossible d’animer les faits sans appeler les détails à son aide, les monographies historiques deviennent nécessaires.

Le temps manquerait aux lecteurs les plus laborieux, si toute notre histoire était divisée en monographies. — Cette objection ne m’effraie pas. Qu’y a-t-il en effet de plus intéressant pour une nation