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feu a déblayé la plaine et que des cabanes s’élèvent où le buffle et le daim avaient jusque-là régné sans partage, les pionniers réunissent leurs efforts pour bâtir la maison de Dieu. Quand, à côté du temple achevé, s’élève la maison d’école, le village est né, mais son existence est encore incomplète. Bientôt un homme arrive avec quelques livres de caractères dans une couple de caisses ; cet homme s’intitule imprimeur, et le lendemain de sa venue il sera journaliste. Ce qu’il aura écrit le matin, il le composera le soir, souvent seul, quelquefois aidé d’un apprenti, de deux tout au plus ; il fera lui-même le tirage, car il lui serait presque impossible de trouver un manœuvre pour l’assister, et le lendemain matin deux ou trois enfans iront vendre pour un son une petite feuille de papier, imprimée d’un seul côté, dont la moitié, peut-être les trois quarts, seront occupés par les annonces les plus diverses. L’Aigle, le Courrier ou l’Indépendant de *** est né ; le village est devenu ville. Après le temple, l’école ; après l’école, le journal, tel est l’ordre invariable dans lequel les trois grands besoins de toute commune américaine reçoivent satisfaction. Quand le village s’est accru et qu’un peu de loisir fait éclore parmi les pionniers les discussions politiques, le journal prend couleur, et le parti contre lequel il se prononce fait des offres à quelque ouvrier imprimeur de la ville la plus proche. Un second journal est créé, qui engage aussitôt avec son aîné une polémique acharnée. Un troisième naîtra bientôt, qui se dira indépendant et qui recueillera les souscriptions et les annonces des neutres et des indécis. Puis, à mesure que la population croîtra et que les annonces se multiplieront, chacun des trois journaux, au lieu de se publier tous les huit jours, paraîtra deux fois, puis trois fois par semaine ; quelques années encore, et tous les trois seront quotidiens. Voilà ce qui s’est passé depuis le commencement de ce siècle dans les états qui s’intitulent anciens parce qu’ils ont au moins cinquante ans d’existence ; voilà ce qui se passe encore journellement dans les états nouveaux. Veut-on avoir une idée de cette rapide multiplication des journaux : les chiffres suivans paraîtront suffisamment éloquens. En 1775, il y avait aux États-Unis 37 journaux, dont 36 étaient hebdomadaires : un seul, l’Advertiser de Philadelphie, paraissait trois fois par semaine, parce qu’il se publiait dans la ville où siégeait le congrès ; vingt-cinq ans plus tard, en 1800, on comptait déjà 200 journaux, dont dix-sept quotidiens ; en 1810, 358 ; en 1828, 812 ; en 1839, 1555 ; en 1850, 2,800, et aujourd’hui le nombre des feuilles américaines approcherait de 4,000, si la période de calme que les États-Unis viennent de traverser n’avait coûté la vie à quelques centaines de journaux, créés à l’occasion des grands débats sur la question de l’esclavage. Il importe de faire remarquer que cette mul-