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ger du côté des libertés et des lumières modernes, et de cesser de provoquer l’incrédulité et la révolte en se posant en ennemie devant les progrès de la démocratie.

Il y a, selon lui, deux christianismes, le christianisme religieux et le christianisme social. Le premier est depuis longtemps vainqueur du paganisme. Il n’en est pas de même du second. Constantin, ses successeurs, les papes, ont maintenu sous la loi nouvelle la société païenne, et c’est pour briser le joug qui pèse encore sur l’humanité que le gallicanisme, le jansénisme, le libéralisme s’épuisent en pénibles efforts. Ils triompheront, c’est l’espérance de M. Bordas Demoulin; mais la lutte est difficile, et l’école qu’il dirige la soutient avec passion. Son plan d’émancipation chrétienne, qui rappelle la constitution civile du clergé, passera facilement pour chimérique, et, quoiqu’il se fonde sur des idées comparables à celles que nous avons vu le docteur Arnold[1] proposer à l’église anglicane, il paraîtra sans doute appuyé sur des considérations très douteuses ou des appréciations fort exagérées. L’auteur, habitué à vivre avec lui-même, à se défier de tout ce qui choque ses croyances comme du mensonge ou de l’iniquité, est âpre et violent dans son langage, et il rend à M. de Maistre rudesse démocratique pour aristocratique insolence. Cependant on ne peut méconnaître dans ses excès d’expression et de pensée une franchise honorable, et qui tranche avec la timidité cauteleuse du langage à la mode; il écrit avec un talent un peu inculte, et tombe souvent dans la bizarrerie et la confusion. Il manque d’élégance et d’art, mais il a de la force, et il faut convenir que sur quelques points, comme l’infaillibilité romaine, comme l’indépendance du pouvoir politique, il presse ses adversaires de raisonnemens et de citations qui ont leur valeur, et contre M. de Maistre en particulier, il a presque toujours vigoureusement raison. Les trois premiers chapitres de son livre V laissent subsister peu de chose de l’ouvrage intitulé Du Pape.

Après un traité important sur les pouvoirs constitutifs de l’église (1855), M. Bordas Demoulin a publié en commun avec M. Huet un volume sous ce titre : Essai sur la Réforme catholique. C’est une suite de morceaux détachés composés dans le même esprit, et parmi lesquels les articles de M. Huet méritent, pour le fond comme pour la forme, d’être particulièrement distingués. Il nous semble cependant que ces deux écrivains s’attachent trop étroitement aux principes et aux exemples de quelques ecclésiastiques dont nous ne nierons pas les intentions droites et la foi courageuse, mais enfin qui, ayant essayé, à travers la révolution, de concilier l’Évangile et

  1. Voyez, sur le docteur Arnold, la Revue du 1er octobre 1856.