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même un air fâcheux de paradoxe, cependant il se montre ingénieux à rajeunir d’antiques croyances, à découvrir un sens caché aux traditions judaïques, qu’il s’efforce de rendre chrétiennes. Sa sévérité un peu rude n’est pas sans élévation morale, et il dévoile avec autant d’adresse que de vivacité les côtés faibles ou abjects des systèmes auxquels il s’attaque. L’ouvrage, un peu moins systématique, un peu moins visiblement politique que ses autres écrits, semble plus appartenir à la réflexion désintéressée : c’est une suite de dissertations, quelquefois même de divagations, où l’esprit paraît se jouer avec une certaine liberté, et suivre les lueurs qui naissent et brillent tout à coup dans le cours d’une lecture ou d’une conversation. La forme du dialogue d’ailleurs permet davantage de s’abandonner aux aventures de la pensée, et de hasarder des singularités ou des exagérations qui offrent une apparence fugitive de vérité. On peut se tromper en causant, pourvu que l’on pense et que l’on fasse penser, et quoique le public se rappelle surtout des Soirées de Saint-Pétersbourg certaines déclamations choquantes sur le bourreau et les expiations sanglantes, nous persistons à croire que c’est encore l’ouvrage de M. de Maistre le plus propre à faire admirer et même goûter son auteur. Il s’y montre plus libre et moins passionné, plus intelligent et moins absolu; il se meut dans un cercle dont le rayon est plus étendu, et, moins préoccupé des intérêts et des inimitiés du moment, il se rapproche davantage de la sphère des pures idées.

Mais il ne pouvait s’y maintenir longtemps; sa vocation ne l’y portait pas : même dans les choses de religion, la religion pour lui est encore le siècle. Il serait indigne d’élever l’ombre d’un doute sur la sincérité de sa foi; mais il faut avouer que si elle n’avait pas été sincère, il aurait pu encore écrire une grande partie de ce qu’il a écrit, tant il s’obstine à considérer le christianisme au point de vue terrestre, humain, politique, tant il aime à le présenter surtout comme la sauvegarde des souverains et la première propriété des nobles, puisque la religion conserve leur privilège qui tombe toujours avec elle! Il ne se lasse pas de la recommander aux princes, aux grands, aux puissans pour leur sûreté. Il semble s’acharner à la transformer en instrumentum regni. Il supplie les hommes d’état, pour épargner les deux choses les plus précieuses de l’univers, le temps et l’argent, de reconnaître en toute dispute religieuse l’autorité de Rome, ce qui est pour lui le fond de la religion. « Si j’étais athée et souverain, je déclarerais le pape infaillible par édit public pour l’établissement et la sûreté de la paix dans mes états; » ce qui transforme la religion en une bonne politique d’athée. Charmé de cette idée, il aime à répéter qu’il se chargerait d’amener des athées à son avis sur l’église, et il ne voit pas que de telles paroles sont l’arme la plus redoutable livrée à l’incrédulité. Il ne voit pas que c’est