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fort compromis leurs privilèges, enfin une véritable admiration pour l’ancien régime unie à la conviction qu’il a à peu près mérité ses malheurs, tout cela ne forme pas une politique dont on puisse tirer un parti spéculatif ou pratique. Au fond, s’il fallait trouver un principe à ces déclamations constantes contre l’œuvre des hommes, contre leur prétention à organiser la justice et la liberté, contre leur idée absurde ou criminelle de réformer ce qui s’est fait sans eux, contre la témérité séditieuse qui veut affranchir leurs passions du frein de certains moyens rigoureux de contrainte et de châtiment, on irait forcément tomber sur les principes mêmes de Hobbes. C’était, comme on sait, la seule philosophie politique que comprissent les Stuarts. M. de Maistre, il est vrai, est religieux, et Hobbes ne l’était pas; mais les Stuarts l’étaient, et leurs confesseurs sortaient d’une école que M. de Maistre a rouverte. Le hobbisme chrétien est bien le fond de la doctrine des apôtres de contre-révolution; mais c’est une alliance de deux principes fort différens qu’il faut rompre, car le hobbisme n’y gagne rien qu’une bonne apparence, et le christianisme s’y compromet.

En politique comme dans le reste, la philosophie du comte de Maistre est tout agressive. Hormis sur quelques points du symbolisme théologique, ne lui demandez pas de rien affirmer, ni surtout de rien déduire. Il n’a point de méthode et il n’y prétend pas. Ce n’est pas qu’il n’y ait de l’unité dans son esprit. Toutes ses idées sont dans la même direction. Elles vont dans le même sens, mais éparses et comme à l’aventure. Il court en tirailleur sur le même ennemi, l’esprit du XVIIIe siècle. Il fait une guerre de partisan plutôt qu’une guerre régulière, ou, pour le traiter d’une manière plus conforme à son rang et à ses goûts, il combat en chevalier errant. Il attaque, il défie, il soutient à coups d’épée que sa dame est la plus noble et la plus belle. Il le soutient en frappant plutôt qu’il ne le prouve, et pourvu qu’il ait blessé l’adversaire, il le tient pour convaincu. Dans la controverse, il ignore ou dédaigne les objections, passe à côté des difficultés, prend l’offensive avec autant de dextérité que de vigueur, s’arme de son mépris comme d’une lame acérée, pousse la raillerie jusqu’à l’insulte, et se moque de ceux qu’il n’écoute pas. Cette manière de discuter n’est pas de très bon aloi, mais elle est utile, et elle venait bien à propos pour venger des gens qui craignaient d’avoir l’esprit contre eux. Ce n’est pas ainsi que l’on résout les questions difficiles, que l’on établit de saines théories; mais qu’importe, si l’on satisfait ses amis, si on leur restitue l’entrain qu’ils ont perdu, si l’on amuse les siens en rendant ennuyeux ses ennemis? Nous avons ici à faire à un écrivain qui ne se pique nullement d’être difficile dans le choix des armes. Capable de vues élevées, quelquefois heureux en beaux traits, il semble ai-