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semble de lois fondamentales et de lois réformatrices dont le texte est partout. Dieu lui-même enfin n’a-t-il pas voulu que ses lois fussent gravées sur des tables de pierre, et le Décalogue a-t-il passé?

Nous avons nommé la constitution anglaise. C’est qu’en effet M. de Maistre en fait quelquefois l’éloge, se séparant sur ce point de M. de Bonald par une assez singulière inconséquence. « C’est, dit-il, l’unité la plus compliquée et le plus bel équilibre de forces politiques qu’on ait jamais vu dans le monde. » — « Quel peuple, dit-il encore, surpasse l’Angleterre en force, en unité, en gloire nationale? » Cela ne l’empêche pas d’écrire ailleurs : « l’Angleterre me paraît assez disposée à nous donner quelque tragédie du grand genre. Ce ne sera pas sans l’avoir bien mérité. » Il n’en est pas moins persuadé que la réformation a dans ce pays abrégé la durée des règnes et des familles patriciennes. Il n’en admire pas moins, en contemplant son église, l’abîme d’égarement où le plus juste des châtimens plonge la plus criminelle des révoltes. Il n’en regarde pas moins toute imitation des formes du gouvernement anglais comme l’aveu d’une grande misère et la preuve d’une grande extravagance. « Jamais on n’a rien vu d’aussi fou. Vous ne m’avez jamais dit, monsieur le vicomte (de Bonald), si vous croyez à la charte; pour moi, je n’y crois pas plus qu’à l’hippogriffe et au poisson rémora. Non-seulement elle ne durera pas, mais elle n’existera jamais, car il n’est pas vrai qu’elle existe (1819). » Le grand tort de la charte en effet, de toute charte, c’est d’être écrite, et il importe à la gloire de la Providence qu’on ne croie à rien de ce qui est prévu et réglé par la sagesse humaine. C’est manquer à Dieu que de ne pas se fier à l’imprévu, et tout gouvernement constitué par des lois positives est une usurpation sur l’autorité du divin législateur. L’auteur est si sûr de son fait, il doute si peu de l’impossibilité de rien décréter qui vaille, que bien que les Américains, dénués d’un gouvernement antérieur, soient excusables d’avoir essayé de s’en donner un, il offre de parier que la ville de l’union ne se bâtira pas, ou qu’elle ne s’appellera pas Washington, ou que le congrès n’y résidera pas. Par malheur, la ville s’est bâtie, elle s’appelle Washington, et le congrès y réside.

Il serait très difficile de faire un système de la politique proprement dite de M. de Maistre. Elle se compose plutôt d’imprécations et d’épigrammes contre tout ce que le XIXe siècle a rêvé ou tenté que de principes et de conséquences touchant la constitution des états. Beaucoup de goût et de respect pour ce que les faits ont produit, pourvu toutefois que le produit des faits ne contrarie pas ses vues, une idée mystérieuse de l’élection des races royales et de l’autorité des rois, pourvu que les rois et leurs races respectent le pouvoir pontifical, une certaine disposition à regarder les familles nobles comme privilégiées d’en haut avec la persuasion qu’elles ont