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quinze ans que j’étudie la révolution française; je me trompe peu sur les grands résultats. » Et une autre fois : « Je ne puis m’empêcher de croire que j’ai deviné ce qui se fait aujourd’hui dans le monde et le but vers lequel nous marchons. » De telles paroles suffisent pour diminuer grandement l’autorité de ceux qui les prononcent.


III.

Si l’observateur s’est assez constamment mépris, les systèmes du publiciste ont-ils plus de valeur et méritent-ils plus de confiance? Ici la raison humaine est sur un meilleur terrain, et il est plus aisé de se faire une idée des institutions qui conviennent à la société que de ses destinées futures et des événemens prochains qui l’attendent; mais la philosophie politique de M. de Maistre, lorsqu’on la distingue de sa philosophie religieuse, n’est pas facile à caractériser. On voit bien qu’en général il aime l’ancien régime des sociétés européennes, et préfère les monarchies qu’on appelle absolues aux gouvernemens qui se disent libres. En principe, il ne semble pas mettre de borne au despotisme : « Il n’y a point de souveraineté limitée, dit-il; toutes sont absolues et infaillibles. » Il s’élève en tout lieu contre le droit de résistance. La révolte lui paraît toujours un crime. La réforme exigée par voie de remontrance, imposée même par la volonté du peuple, n’a rien de légitime à ses yeux. Toute révolution est interdite. Cependant en fait il se félicite de ce que nulle souveraineté ne peut tout. La toute-puissance effective est impossible. Il ne se contente pas de souhaiter au pouvoir politique le contrôle du pouvoir spirituel, ce serait trop simple; il accepte toute force qui lui sert de frein : « c’est une loi, c’est une coutume, c’est la conscience, c’est une tiare, c’est un poignard; mais c’est toujours quelque chose. » Il n’y a qu’une chose qu’il ne puisse souffrir, c’est une limitation constitutionnelle, c’est une garantie de droit écrit. Son Essai sur le Principe générateur des Constitutions, ouvrage didactique par la forme, et qui, sous ce rapport, rappelle la manière de M. de Bonald, le contredit sur beaucoup de points, en étant cependant consacré à la défense de la même cause. Ainsi, tandis que M. de Bonald veut tout écrire, même la loi des lois, même la législation primitive, M. de Maistre prétend qu’aucune constitution ne doit être écrite, que rien de ce qui est écrit n’est durable, et que la religion chrétienne n’a duré que parce qu’elle est fondée sur la parole, oubliant apparemment qu’elle n’est pas moins fondée sur l’Écriture. De toutes les législations, celle qui jusqu’ici a eu la plus longue vie, c’est le droit romain, qui s’est appelé la raison écrite. La constitution anglaise qu’il cite, et dont il ne veut faire qu’un assemblage incohérent d’usages qui n’ont pas été recueillis, est un vaste en-