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et que son existence en fût la raison suffisante. Des perturbations et des désastres affligent la nature dans le désert, en l’absence de l’homme. Avant même que notre espèce eût paru sur la terre, le monde a subi plus d’un bouleversement. Les cataclysmes ont donc des causes propres qui tiennent à la constitution de l’univers, et qui agiraient quand nous n’existerions pas. Lorsqu’il se manifeste quelqu’un de ces troubles de la nature qui deviennent pour nous des calamités, comme un tremblement de terre, comme une inondation, libre à l’homme assurément de s’y intéresser; il aura raison d’en faire un sujet de réflexion, pour chercher à les éviter, à y porter remède, en tout cas à les supporter. Il devra apprendre de ce spectacle la prévoyance, le courage, la résignation. Enfin, sous un point de vue plus élevé, cette expérience pourra développer en lui le sentiment de son impuissance, et, si l’on veut, de son néant devant les vastes lois de la création; il admirera la puissance de Dieu, la grandeur de la Providence, et, convaincu de sa faiblesse, il se tiendra prêt à endurer toutes les épreuves et à comparaître à toute heure devant le juge de l’avenir. Ainsi, pour la prudence, la sagesse, la religion, le spectacle des calamités naturelles n’est pas indifférent, et l’écrivain pieux y trouve matière de conseil ou d’enseignement. Dire que l’homme, créature intelligente et morale, et qui communique avec toutes choses par la faculté de connaître, est fait pour y chercher une idée, pour en déduire une leçon, c’est affirmer l’évidence; mais de là il y a loin à prétendre deviner à quelle fin tel événement matériel est arrivé, à soutenir que Dieu l’a déterminé tout exprès dans un moment donné pour agir sur telles ou telles personnes et produire tels et tels résultats. Ce sont suppositions gratuites, arbitraires, souvent immorales, puériles ou ridicules. Quand on s’engage dans cette voie, on ne sait où l’on peut être entraîné, et il peut arriver qu’on dise au public que les inondations du Rhône ont eu pour but providentiel de rappeler à l’observation du dimanche les habitans de la province lyonnaise, ou que Dieu a permis l’invention des chemins de fer particulièrement pour punir les aubergistes d’avoir fait faire gras aux voyageurs le vendredi.

Je le répète, lorsque l’on se risque à interpréter en détail et par les faits les volontés de la Providence, en reconnaissant, comme il le faut bien, que le choix des moyens qu’elle se réserve est hors de toute science humaine, et qu’il n’existe ni analogie visible, ni proportion apparente dans l’ajustement divin des effets et des causes, il y a une petite condition à remplir, c’est d’être inspiré. Bossuet a tenté de suivre la Providence dans l’histoire universelle, et il l’a pu sans une témérité insupportable, non parce qu’il était Bossuet, c’était encore trop peu pour une telle œuvre, mais parce qu’il considérait une longue suite de siècles révolus, et puisait ses explica-