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science humaine a réclamé à la même date, dans les différens ordres d’idées, la part d’influence active et de respect qui lui est due; le goût des institutions libres s’est montré contemporain de l’essor intellectuel et moral; les diverses applications du juste, du vrai et du beau, solidaires en effet, n’ont point paru pouvoir s’isoler ou s’ajourner à plaisir. Chez nous, Mme de Staël et Chateaubriand, et après eux les fondateurs de l’école historique, les rénovateurs de la critique philosophique et littéraire, les poètes eux-mêmes, se sont trouvés par leurs seuls écrits mêlés au mouvement politique de leur temps et ont été entraînés à y prendre une part, quelquefois la plus active. Ce fut leur péril à quelques-uns d’entre eux, ce fut leur honneur à tous. Eh bien! il en a été de même chez les autres peuples qu’agitait comme nous le nouvel esprit. J’ouvre au hasard les œuvres de l’évêque Tegner, l’auteur de la Saga de Frithiof, et je lis dans un de ses discours, prononcé en 1817 à l’université de Lund, des paroles qui nous montrent là aussi la direction, toute politique et pratique, des idées nouvelles :


«... Cet esprit de liberté qui s’est manifesté dans toute l’Europe ne sera plus étouffé, dit-il, par violence ni par ruse. Sans se troubler, il poursuit tranquillement sa route, renversant à droite et à. gauche les vieilles constructions pourries et fondant sur elles les assises de ses temples. Il n’est pas question ici d’une populace en délire qui fait voler en éclats trône et autel, et qui célèbre sa victoire insensée sur les ruines de l’ordre et de tout l’état. Il n’est pas question des abus, mais du noble usage de la liberté. Il s’agit des droits éternels des peuples, tels que la conscience les révèle; il s’agit des principes les plus essentiels et les plus profonds qui soutiennent les états. Que demandent les peuples, au nord comme au midi? Rien autre chose, sinon ce que réclame la nature même des gouvernemens, destinés apparemment à aider au développement de l’humanité, et non pas à instituer le pouvoir d’un seul sur des millions d’esclaves ; rien autre chose que le droit d’établir eux-mêmes les lois auxquelles ils obéiront ensuite; rien autre chose que la responsabilité partagée par les gouvernans eux-mêmes, et le droit d’exprimer librement leur pensée dans les limites de l’ordre et de la sécurité publique. Ce droit étant le souffle même de la liberté, celui qui le restreint sans nécessité fait en vérité comme s’il arrachait à son pays la langue de la bouche, et montre le dessein de se faire servir, comme les despotes de l’Orient, par des esclaves muets. Ils demandent, ces peuples, qu’on ne les vienne plus abuser par le sot fantôme d’un prétendu droit devenu par héritage la possession d’une seule famille, et dont rien ne saurait faire déchoir, ni l’incapacité ni l’abus. Ils demandent un rapport plus libéral entre les différentes classes d’une même nation, la consécration de la liberté personnelle et des droits que la nature a donnés à toute personne humaine... Mépriser de telles demandes ne serait pas bien avisé, car, à coup sûr, tôt ou tard ces peuples prendront eux-mêmes ce qu’on leur aura refusé. Il y a des gens qui se réjouissent en disant que la révolution est finie et que