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Bernadotte jusqu’en 1814 ; mais en quelques années il s’est fait toute une révolution morale, et ce qui semblait justement impraticable autrefois, ce que les esprits sceptiques déclaraient plus imprudemment, hier encore, chimérique et puéril, s’est accompli sous leurs yeux. Soit, dira-t-on, la commune alliance du nord scandinave, sous le triple rapport de l’idée nationale, des échanges intellectuels et même des intérêts matériels, paraît, s’il faut le reconnaître, possible aujourd’hui, nous l’accordons et ne voulons plus y contredire. N’en concluez cependant pas que le scandinavisme puisse jamais entrer dans le domaine des idées ou des faits politiques. C’est ici la pierre de touche de l’exacte et sévère réalité: ici les combinaisons sages et pratiques se condensent, prennent une figure et un corps, pour ainsi parler, et les songe-creux s’évaporent. — Voyons donc, faisons l’épreuve. Nous avons esquissé toute une période de l’histoire du scandinavisme, pendant laquelle nous l’avons vu briser sa première enveloppe, littéraire et poétique, pour aboutir à une alliance intellectuelle et morale, et même à quelque chose de plus. Cherchons s’il n’a pas aspiré plus loin encore, et s’il ne prétend pas en effet à se faire compter même par les politiques et les diplomates. Si nous le trouvions admis parmi leurs préoccupations et leurs calculs, ne fût-ce qu’au dernier rang et comme dans la réserve d’un conditionnel avenir, nous aurions donné la preuve que l’étude de cette première phase n’était pas inutile; nous aurions en outre recueilli quelques indices pour l’histoire contemporaine, quelques conseils peut-être en vue de prochaines complications, et nous aurions enfin ouvert une seconde période à l’histoire particulière du mouvement scandinave.


II.

Au préalable, et comme fin de non-recevoir, on oppose d’ordinaire au scandinavisme l’exemple de l’union de Calmar, comme si cet exemple ne rappelait pas au contraire la première protestation de la Scandinavie contre l’invasion de l’élément germanique[1]. D’ailleurs

  1. En appelant Marguerite, déjà reine de Danemark et de Norvège, la Suède se débarrassait de son premier roi de race allemande, Albert de Mecklenbourg. Malheureusement le successeur de Marguerite, son petit-neveu Éric le Poméranien, fut encore un Allemand, qui s’entoura d’étrangers et gouverna en conquérant étranger, et, quand la Suède rejeta ce joug pour nommer le chef national Charles Canutson, le Danemark et la Norvège allèrent s’offrir au contraire à un Oldenbourg, à Christian Ier. Ce que fut pour la Suède, asservie de nouveau, la domination d’un Christian Ier et d’un Christian II, personne ne l’ignore, l’union de Calmar, qui avait subi d’ailleurs de très longues alternatives, ne pouvait plus lui paraître désormais une association nationale et fraternelle, mais plutôt un asservissement en commun sous des maîtres cruels et étrangers; le même sentiment qui avait amené l’union devait l’anéantir, et ce sentiment n’était autre que celui qui revit de nos jours, éclairé et fortifié par l’expérience, dans le scandinavisme.