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matiquement à combiner une démarche commune pour demander au Céleste-Empire le renouvellement des traités de commerce qui vont expirer et pour obtenir des conditions plus favorables aux intérêts européens. — Cette démarche collective se préparait, lorsque les autorités anglaises en Chine, pressées par les circonstances ou trop emportées par un zèle d’action, prenaient l’initiative de mesures d’hostilité qui ont eu un singulier retentissement en Angleterre, qui ont un moment ébranlé le cabinet de Londres, et qui ont fini par imposer au gouvernement de la Grande-Bretagne la nécessité d’une guerre qu’il eût voulu peut-être éviter. Il résulte de là plusieurs conséquences qui se déroulent aujourd’hui : la situation de tous les Européens en Chine s’est subitement aggravée, toutes les passions nationales des Chinois contre les étrangers se sont réveillées, et l’Angleterre s’est créé une position particulière ; elle a marché en avant et a ouvert le feu, au lieu d’agir par la voie de la diplomatie, comme elle l’avait d’abord proposé.

Deux faits principaux, on le voit, sont en présence : il y a la politique que la France et les États-Unis auront à suivre pour sauvegarder leurs intérêts, et il y a la guerre qui est venue s’imposer à l’Angleterre. On pourrait ajouter une dernière considération, faite pour peser dans la balance : c’est la difficulté de cette guerre. Les Anglais éclairés et prévoyans ne méconnaissent pas la gravité d’une telle situation. S’ils mettent le pied sur le sol chinois, s’ils marchent sur Pékin, ils craignent de donner des forces nouvelles aux insurgés qui entretiennent depuis si longtemps la guerre civile, de faire tomber dans l’anarchie et la dissolution cet empire de trois cents millions d’hommes, et de voir se fermer pour leur commerce un immense débouché. Aussi, en envoyant un nouveau négociateur, lord Elgin, et en expédiant des soldats, en se préparant en un mot à tous les événemens, l’Angleterre ne négliget-elle rien pour alléger le poids et diminuer les complications d’une lutte dont elle mesure la gravité sans trop savoir encore comment elle pourra s’y soustraire. De là les efforts tentés récemment par le cabinet anglais pour amener sur son terrain les États-Unis et la France, pour provoquer ces deux gouvernemens à l’action. L’Angleterre n’a pas réussi auprès des États-Unis : le cabinet de Washington envoie des forces navales en Chine et un négociateur, M. Reed ; mais il refuse de se laisser entraîner dans la guerre, et maintient l’indépendance de son action. Le cabinet de Londres ne semble pas avoir eu plus de succès dans ses tentatives auprès du gouvernement français, qui a déjà envoyé des forces maritimes avant que les dernières hostilités eussent éclaté. Lord Elgin est venu récemment à Paris avant de partir pour la Chine ; ce que le ministère anglais demandait peut-être, c’était un concours effectif, l’appui de forces de terre ; sans aller jusqu’à cette limite extrême, la France sera du moins représentée dans les événemens, et appuiera l’Angleterre par une sérieuse démonstration. Pour le moment donc, c’est l’Angleterre seule qui est engagée dans la guerre, à moins d’une soumission des Chinois, et elle envisage cette lutte comme toutes les entreprises proposées à sa puissance. Il est constant d’ailleurs que dans tout ce qui s’est passé à Canton il y a eu des faits dont le gouvernement anglais, sous l’empire d’une nécessité pressante, peut bien accepter la responsabilité, sans que les autres états soient obligés de s’y associer encore. Qu’on remarque bien en effet que s’il n’y a point à balancer aujourd’hui, cette guerre a eu pour