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rait éminemment stratégique; mais, outre sa destination militaire et commerciale, elle servira à l’expansion, devenue probable, des populations européennes vers l’Orient. On sait que l’Europe a des oscillations alternatives vers l’Orient et l’Occident. Au moyen âge, longue période orientale qui a instruit son génie commercial et industriel; depuis la réforme, longue période occidentale qui lui a fait reconnaître toutes les terres du globe pour en prendre possession au profit de son industrie et de son commerce. Après cette marche à l’ouest, qui a eu pour résultat l’assimilation du Nouveau-Monde, la voilà qui reprend sa route vers l’est, c’est-à-dire vers l’ancien continent, qu’elle doit régénérer. Dès la dernière moitié du XVIIIe siècle, elle a assis un empire dans la péninsule indienne; durant la première moitié du XIXe siècle, elle n’a cessé d’agir sur les deux Turquies. La voie de terre que nous avons indiquée, dont les jalons commencent à se poser, permettra à son mouvement de s’opérer par une progression régulière dans toute l’Asie-Mineure, qui lui est ouverte.

Grâce à l’établissement de cette voie monumentale, de ses nombreux embranchemens et des lignes qui se coordonneront successivement avec la ligne principale, la région occidentale du continent asiatique, comprise entre la Méditerranée, la Mer-Noire, la Caspienne, les rives de l’Indus et l’Océan indien, région avec laquelle l’Europe antique ou moderne a eu tant de contacts accidentels ou suivis, sera annexée au monde civilisé, dont les frontières auront été reculées par l’application des voies ferrées. Les émigrations suivront cette extension des frontières. Le courant qui, depuis trois siècles, se dirige au-delà de l’Atlantique et verse présentement jusqu’à trois cent mille âmes par année sur le Nouveau-Monde, ce courant obéira à un souffle irrésistible, et se retournera vers l’ancien continent, où le Danube et la Méditerranée le conduiront si facilement et si vite. Les jachères immenses de l’Asie-Mineure ne sont pas moins attrayantes que les savanes de l’Amérique, et elles sont de plain-pied avec l’Europe; la bête de labour de la vallée du Rhin s’y acheminerait sans avoir d’autre mer à traverser que le détroit du Bosphore ou des Dardanelles. Ici, sans aucun dérangement des possesseurs du sol, il y aura place pour d’innombrables contingens de nos populations agricoles et industrielles, et leur implantation sera aisée dans ce pays, où toutes les nations se sont façonnées à vivre côte à côte, toutes les langues à se comprendre, tous les cultes à se tolérer. Ces territoires, dont l’opulence sommeille, seront régénérés, et avec eux ces races orientales, douées de la beauté, de l’intelligence, du soleil, n’ayant besoin que d’une lumière morale nouvelle. C’est par l’adjonction de ces provinces asiatiques que la base territoriale du monde européen sera élargie : — d’une part, une ag-