Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/191

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dération futile que celle de l’intérêt des populations rurales, à qui la longueur exceptionnelle de la saison morte permettrait de faire alterner avantageusement les travaux des champs et ceux des manufactures. Enfin il y avait l’ambition de s’élever sous tous les rapports au niveau des autres états européens. Ce furent les seigneurs qui donnèrent l’exemple, les uns entraînés par un généreux patriotisme, les autres par les bénéfices que promettait l’industrie; la main-d’œuvre était toute trouvée dans leurs serfs, et c’est pourquoi il y a tant de fabriques dans les villages du centre de la Russie. Derrière les seigneurs, la bourgeoisie s’avança avec défiance, ignorante encore, mercantile à la façon levantine, mal préparée, mais s’avançant toujours et laissant les seigneurs tenter l’expérience, jeter leur feu, se rebuter des mécomptes, puis les remplaçant en grande partie, et demeurant maîtresse du champ de bataille, d’où la noble avant-garde avait presque entièrement disparu.

Cependant des instructeurs européens concouraient au succès; le gouvernement soutenait par un tarif protecteur tous ces établissemens qui avaient à supporter les intérêts usuraires du capital de fondation, les échecs inséparables de tout début, et souvent ne trouvaient pas à vendre des produits d’un prix exorbitant. Il reste beaucoup à faire, ce qui est fait est décisif. La Russie a amélioré ses vieilles industries, telles que la préparation des peaux, la fabrication des cordages et des toiles à voiles; elle a naturalisé chez elle une foule d’industries étrangères; elle fabrique de la porcelaine, de la verrerie, des glaces, du papier, des produits chimiques, du tabac, du sucre de betterave, du savon, des chandelles; elle façonne la laine, la soie, le coton, selon les meilleurs procédés, et elle a ses usines métallurgiques. Enfin elle a fondé des écoles pour former des ouvriers, des contre-maîtres et des directeurs. Chose remarquable, la métropole industrielle du pays, aussi bien que la métropole commerciale de l’intérieur, est la vieille capitale qui n’a pas cessé d’en être la métropole religieuse : c’est Moscou. D’après les derniers renseignemens publiés, on y compte 1,485 établissemens de filature et de tissage occupant 118,000 ouvriers, et 6,387 fabriques diverses occupant 19,900 ouvriers. Voilà ce qu’est devenu le sanctuaire du vieil esprit russe, la citadelle de la noblesse incorrigible. Rien ne subsiste de l’ancienne Moscou que le Kremlin, monument indestructible de la tradition publique; le reste se renouvelle avec un cachet national. La capitale répudiée est plus russe que Pétersbourg; elle n’est pas moins moderne à cette heure, et elle doit à sa situation centrale une importance incomparable. Lorsqu’elle sera mise en rapport direct avec l’Europe par les chemins de fer, qui sait si elle ne disputera pas la prééminence à