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mins de fer sont innocens, mais il est permis de se défier de l’usage qui en sera fait. On peut prétendre que les tsars se serviront de leur réseau pour la conquête extérieure avec d’autant plus de succès qu’ils s’en seront d’abord servis pour la conquête intérieure. Soit, mais la Russie peut-elle se créer des moyens prompts d’aller chez ses voisins sans leur donner les mêmes moyens de la visiter? On disait naguère qu’elle était invulnérable chez elle, parce qu’elle était couverte par les distances qui lui faisaient une défense naturelle; si elle les supprime, c’est un gage de son désir d’avoir de bons rapports avec l’Europe, ou c’est le défi le plus téméraire qu’elle ait jeté au monde. Défi ou gage, nous avons prouvé que la fortune de l’Europe est impérissable; aucune éventualité, on peut l’assurer, ne la prendra en défaut. Il faut rechercher maintenant jusqu’à quel point les chemins de fer seront en Russie les agens de la transformation du pays et des habitans, et quels sont les rudimens de cette transformation.


III.

La portion du territoire russe que le réseau est appelé à vivifier peut se diviser en trois zones, — celles du nord, du centre et du sud. Les produits du sol et de l’industrie se distribuent entre ces trois zones selon les conditions spéciales de climat et de terroir, et doivent s’échanger régulièrement de l’une à l’autre; faute d’échanges réguliers, il y a souffrance par privation ou par engorgement. Pour apprécier les conséquences de l’établissement du réseau russe, nous étudierons séparément chacune des trois zones en recherchant de quel côté il peut y avoir soit des excédans à mobiliser, soit des déficits à combler.

Ce qui caractérise la zone septentrionale, ce sont les forêts. Assez rares dans la zone centrale, où d’ailleurs il y a eu de larges défrichemens, plus rares encore dans la zone méridionale, où les Tatars ont laissé derrière eux de vastes déserts, elles sont la magnificence du nord de la Russie, qui contient les deux cinquièmes de la richesse forestière du pays, évaluée en totalité à 180 millions d’hectares. Telle est la difficulté des communications, que plusieurs de ces forêts sont inexplorées; les générations d’arbres s’y succèdent à l’abri de la hache, et périssent de vétusté comme aux époques primitives. L’exploitation dépouille les bords des lacs, des rivières, des canaux, qui permettent un transport à peu de frais, soit pour la consommation intérieure, soit pour l’exportation : elle recule devant une coupe qui nécessiterait un transport par terre, et le combustible renchérit à Pétersbourg, parce que ses réserves pouvant arriver par flottai-