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appelé par le ciel à les maîtriser. Enfin c’est par le prestige de l’autorité et par les ressorts administratifs tout ensemble qu’il se gouverne, de façon qu’à un moment donné il peut tout oser. Que lui manque-t-il pour accomplir ses desseins ? La faculté de se mouvoir avec rapidité, et on lui fait des chemins de fer ! On ne l’armera de tous les arts de la civilisation qu’au péril de la civilisation elle-même, dont il se porte pour l’héritier, parce qu’il est né d’hier.

Cette thèse a un côté vrai, on ne saurait le nier, et l’imprévoyance serait folie vis-à-vis d’une puissance qui ne sait pas bien encore elle-même jusqu’où elle doit aller, qui n’a pas épuisé sa crise de croissance. Pourtant l’Occident constitue un faisceau dont la vigueur ira grandissant aussi vite que celle de la Russie ; là est l’obstacle à tous les plans de monarchie universelle, l’obstacle et la leçon ; c’est pour s’être désabusé de l’iniquité et de la vanité de cette chimère qu’on s’est résolu à former une confédération qui ne doit plus tolérer de nouveaux essais de conquête. Tour à tour chaque grande nation européenne s’est proposé de refaire l’empire romain, empire d’Occident d’abord, puis empire d’Orient ; la Russie a passé par le même rêve, avec cette nuance géographique qu’elle commençait en Orient pour achever en Occident. Ç’a été une sorte de péché originel, péché légué aux sociétés modernes par les sociétés anciennes, mais toujours puni par l’impuissance. L’unité d’une seule des parties du globe n’est plus possible par la conquête d’un peuple et la prépotence d’un césar ; l’unité ne saurait plus procéder que de l’union. Le testament de Charles-Quint est lettre morte en Autriche ; il en est ainsi des testamens de Philippe II en Espagne, de Napoléon en France, de Pitt en Angleterre ; tôt ou tard, bon gré, mal gré, il n’en sera pas autrement du testament de Pierre en Russie. Union sans servitude, reconnaissance du droit de chaque état, limitation de toute prépondérance abusive, voilà, sous le nom d’équilibre européen, la charte de justice, de paix et de modération que l’esprit moderne s’est octroyée. Il a inauguré le principe moral dans la politique : c’est sa gloire, c’est son salut. Cette charte fût-elle accidentellement violée, elle subsiste, règle désormais consacrée par les congrès auxquels elle préside, les arrêts qu’elle a inspirés, les victoires qu’elle a remportées, les réparations qu’elle promet. Il n’y a pas de droit contre ce droit, il n’y a pas de force contre cette force. Et ce n’est pas tout. L’esprit moderne a fondé la prospérité publique et privée sur le travail ; il augmente la fécondité et la dignité de l’industrie par un accord plus intime avec la science ; il excite les nations à abaisser les frontières devant les voies nouvelles qu’anime la vapeur, à supprimer les entraves de leur négoce. De même que la doctrine de l’équilibre européen a nivelé les aspirations à la monarchie universelle, la doctrine