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millequi vous saisit dans l’étude de leurs caractères, vous le retrouvez avec étonnement dans leurs physionomies. C’étaient plus que deux amis, c’étaient deux frères dont vous proclameriez la consanguinité rien qu’à voir leurs deux bustes côte à côte au palais de Weimar. C’est une vertu souvent facile pour un souverain d’appeler à lui les hommes de talent : ce qui l’est moins, c’est de les retenir, de les grouper et de les diriger dans des conditions normales, dans le développement calme et sensé de leurs facultés respectives. Je me réserve de dire un jour toute ma pensée sur Charles-Auguste, l’un des plus grands princes que l’Allemagne ait produits, celui qui, avec des ressources modiques et restreintes, sut obtenir les plus vastes résultats. Qu’il me suffise ici de reconnaître que Goethe, en se liant avec le grand-duc de Saxe, se tint en quelque sorte parole à lui-même, ayant jugé du premier coup le parfait accord qu’il y aurait entre ce qui lui serait demandé et ce qu’il se sentait en mesure d’apporter.

Le 11 février 1774, Knebel arriva chez Goethe et l’informa que les deux royaux frères Charles-Auguste et Constantin désiraient le voir. Wolfgang se rendit à cette invitation, et fut reçu de la manière la plus flatteuse, surtout par Charles-Auguste, qui justement venait de lire Goetz. Le poète et ses hôtes royaux dînèrent ensemble fort gaiement, puis on se quitta après avoir reçu et donné de part et d’autre les meilleures impressions. Les princes partaient pour Mayence, où Goethe leur promit d’aller les rejoindre, visite dont les approches ne laissaient pas de mettre en défiance le père de Wolfgang, lequel, en sa qualité de vieux bourgeois de la ville libre de Francfort, se permettait de professer un certain scepticisme à l’endroit des altesses royales. Le voyage eut lieu néanmoins, et Goethe à cette occasion passa avec les jeunes princes quelques jours de plaisir et d’intimité qui peut-être décidèrent de son avenir. Comme c’était la première fois de sa vie qu’il se trouvait en contact avec les grands, l’expérience semblait faite pour l’encourager.

Au mois de mai suivant, il apprend que Charlotte a mis au monde un fils qu’on a nommé Wolfgang, et quelques jours plus tard, il écrit à l’épouse de Kestner ce billet où l’existence de Werther se trouve mentionnée pour la première fois : « Je vous enverrai avant peu un ami qui n’est point sans quelque ressemblance avec moi, et j’espère que vous lui ferez bon accueil. Il s’appelle Werther et il est,… mais j’aime mieux le laisser se présenter lui-même. »

Maintenant quiconque aura suivi cette simple histoire, que nous avons essayé de raconter d’après les pièces authentiques et les documens contemporains, verra combien il se faut défier de toutes les choses que raconte Goethe à ce sujet dans son autobiographie, qui, pour cette période, n’offre qu’un tissu des renseignemens les plus