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morte, entre autres un couteau à manche d’écaille et d’argent qu’il réussit très agréablement : succès qui lui procura la plus vive et la plus légitime des satisfactions. Avoir Goetz de Berlichingen dans son portefeuille, Werther et Faust dans sa tête, et mettre son orgueil à copier fidèlement un manche de couteau, il faut, pour comprendre de pareils enfantillages, avoir vu Rossini jouer du basson ! Ce beau zèle toutefois dura peu, et son dilettantisme, rebuté par certaines difficultés d’exécution, ne tarda point à passer à des sujets d’un ordre plus relevé. Des colporteurs italiens étant venus tenir boutique à la foire de Francfort, Goethe s’arrêta devant leurs étalages, où figuraient en quantité des plâtres et des moulures d’après l’antique, et ne s’éloigna qu’après avoir acheté diverses reproductions de chefs-d’œuvre. C’est là que se laisse saisir le premier germe de ce grand amour des arts plastiques, qui plus tard donna de si beaux fruits, et à dater de ce moment l’école flamande cessa d’absorber sa rêverie, que l’idéal sollicitait déjà. Dans une existence bien ordonnée, il y a temps pour tout, et Goethe, qui connaissait les formelles intentions de son père, n’avait garde de négliger la jurisprudence.

Ajoutons que ses études n’étaient point si arides qu’on le pourrait croire, et que si le jurisconsulte en profitait, l’écrivain à son tour y trouvait son compte. C’était l’époque des réformes ; un souffle plus clément pénétrait dans les vieux codes, dont on sentait la rigueur draconienne se détendre sous l’influence des idées de tolérance et d’humanité. De cet esprit nouveau devait sortir une langue nouvelle, émue, sympathique, remplaçant par la persuasion le pathos juridique des anciens jours et digne enfin d’intéresser, d’attacher une âme éprise en tout du style. Néanmoins, ses travaux n’occupant qu’une partie de ses journées, il lui restait encore assez de temps pour vaquer à ses élucubrations poétiques sans avoir à craindre désormais les instinctives rancunes de son père. En effet, du moment que la littérature et le droit pouvaient faire ensemble bon ménage sous le crâne du jeune Wolfgang, M. Goethe n’avait plus aucune raison de s’opposer à une manie qui après tout ne messeyait point trop chez un fils de famille bien et dûment pourvu d’une profession sérieuse.

Ce fut dans ces conditions que vit le jour Goetz de Berlichingen, dont l’idée le tenait depuis sa sortie de l’université. L’étude des XVe et XVIe siècles l’avait beaucoup absorbé vers cette époque, et parmi les graves objets de ses méditations, je citerai l’ouvrage de Philipp Dats, de Pace publica. Goetz de Berlichingen fut le résultat de ses recherches historiques, fécondées par la lecture de Shakspeare et, comment dirai-je ? par la fréquentation de la cathédrale de Strasbourg. Conçu presque sur les bancs du collège, le drame mit des années à paraître, et, selon une habitude dont on ne le vit guère se