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pense aux agitations qui l’y attendaient, à son amour pour Charlotte, à toute cette aventure romanesque qu’il vécut en quelque sorte avant de la traduire dans Werther, on a peine à comprendre comment, ayant plus tard à parler de son séjour en cette résidence, il a pu en venir à dire, dans un langage empreint de la froideur systématique du style officiel : « Ce qui m’arriva à Wetzlar est de peu d’importance et ne saurait avoir d’intérêt qu’autant que le lecteur me permettra d’y prendre occasion pour jeter un rapide coup d’œil sur l’histoire de la chambre impériale, et de lui présenter les circonstances défavorables au milieu desquelles j’arrivai. » Il faut convenir que c’est là un ton médiocrement sympathique, et que ce nom de Wetzlar, aux yeux de tous les gens informés d’un certain épisode, semblerait devoir évoquer d’autres révélations que celles qui se rattachent aux annales de la chancellerie du saint-empire germanique. Cependant je suis loin de voir dans cette omission une preuve irrécusable d’indifférence, et je ne partage nullement l’opinion de M. Lewes, qui s’écrie à ce propos : « Voilà ce que c’est que de composer des mémoires à un âge où l’on a perdu toute sympathie pour les agitations de la jeunesse ! » J’estime au contraire que le gracieux sourire de Charlotte ne s’effaça jamais du cœur de son loyal et poétique amant, et que si l’autobiographie de Goethe se tait sur certains points que notre curiosité serait bien aise de voir éclaircis, ce silence de l’auteur tient plus de la réserve que de l’oubli. Aujourd’hui, après que tant de documens intimes ont parlé, lorsque la correspondance de Kestner est venue apporter de si remarquables pièces au procès, il n’est plus guère permis d’attribuer à l’altération des souvenirs les lacunes qu’on regrette trop souvent de voir aux endroits les plus intéressans des mémoires : Goethe avait l’âme trop élevée, un trop exquis sentiment des convenances, pour ne point hésiter devant certaines difficultés inséparables de toute espèce de confession publique. Il savait jusqu’où l’on peut aller, mais il savait aussi où l’on doit s’arrêter, et je doute qu’il eût fort approuvé les principes de ces écrivains qui, tout en se proposant de raconter leurs propres faiblesses, se font comme un devoir de traiter épisodiquement des scandales d’autrui, et, de gré ou de force, traînent sur le tréteau où il leur plaît de monter quiconque eut jamais affaire à eux.

Dans sa première lettre, Werther, parlant de Wetzlar, dit que cette ville offre peu d’agrémens. Si le mot avait du vrai vers la fin du XVIIIe siècle, à une époque où la chancellerie impériale y tenait ses assises, je laisse à penser ce qu’il en doit être aujourd’hui, quand la noble cité, privée de toute vie, de toute animation, voit mélancoliquement l’herbe croître par ses rues désertes. Ordinairement les villes qui ont fait quelque figure dans l’histoire conservent à travers