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réclame un travail particulier, et mérite en ce point d’être traité avec les soins investigateurs et la savante curiosité dont on entoure les classiques de l’antiquité. Cette idée, bien des fois d’ailleurs mise en pratique chez les Allemands à propos de Tasse, d’Egmont, d’Iphigénie, de Wilhelm Meister, qui tous, drames, tragédies, poèmes et romans, ont inspiré des volumes de gloses, ne pouvait manquer de nous valoir de nouvelles études sur Werther. Exposer l’état de la société au moment où parut ce fameux livre ; tracer la peinture, vivante en quelque sorte, des mœurs et de la littérature du temps ; dire les petits scandales, les apologies, les parodies ; mettre en scène les divers personnages qui, de près ou de loin, prirent part à cette histoire ; recueillir tout ce qui s’y rapporte, jusqu’aux propos de salon, jusqu’aux anecdotes, telle est la tâche que M. Appel s’est proposée dans un volume intitulé : Werther und seine Zeit, ouvrage plus bibliographique sans doute que critique, ayant moins affaire de prouver que de raconter, mais d’un piquant intérêt au point de vue de l’histoire littéraire, et que les mieux informés consultent avec fruit.

S’il me fallait absolument de l’esthétique, je m’adresserais à M. Rosenkrantz ou à M. Weisse, ces infatigables explorateurs d’un sol incessamment retourné, et qu’on n’épuise pas. Je demanderais à M. Düntzer ses commentaires approfondis, ses exposés philologiques excellens, bien qu’un peu touffus, et dans l’épaisseur desquels je me permettrais de promener la serpe de l’émondeur, — à M. Alexandre Jung sa pénétration du symbole, son art incroyable d’aller découvrir dans le poète qu’il étudie des réponses à toutes les grandes questions sociales que le siècle peut avoir posées. Il s’en faut, du reste, que cette réaction très caractéristique qui depuis quelques années se manifeste en l’honneur de Goethe ait été circonscrite dans les limites de l’Allemagne. De toutes parts en Europe, la vie et les écrits de l’illustre penseur sont devenus l’objet d’itératives investigations. Carlyle date de Goethe une ère nouvelle au début de laquelle nous sommes seulement, et tel est aussi le sens de l’important ouvrage que M. G.-H. Lewes vient de publier après dix ans de recherches et d’études, monument de zèle littéraire et d’enthousiasme raisonné, dédié a à l’homme qui le premier a fait connaître Goethe à l’Angleterre. » J’ai nommé Thomas Carlyle. On sait avec quel art singulier les Anglais composent, de documens qu’ils élaborent, des ouvrages que tout le monde lit, — ceux à qui spécialement on les destinait, et ceux-là aussi qui forment le gros du public, et ne demandent qu’à être amusés. Le livre de M. Lewes appartient à ce genre d’écrits ; j’y retrouve cet intérêt attachant, cette saine appréciation des choses, ce common sense qui vous frappent dans ces admirables classifications de papiers d’état auxquelles les