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aucun peuple, et pendant laquelle le génie national a gardé, sous divers costumes, la même physionomie. Cette physionomie a changé : en conclurons-nous que ce n’est plus le même peuple, et qu’un usurpateur, se décorant d’un faux titre, est venu prendre la place du maître véritable ?

La révolution est la plus récente manifestation du génie catholique de la France, et sera peut-être la dernière de toutes, car ce génie est apparu avec elle sous sa forme la plus absolue et la plus dégagée de toute entrave matérielle. Il s’est présenté à l’état d’idéal abstrait, n’ayant aucun souci des formes qu’il devrait revêtir, impatient de tout symbole trop étroit, immatériel comme un problème mathématique, et aussi imparfaitement exprimé par les divers gouvernemens qu’il s’est donnés qu’une vérité algébrique par les signes conventionnels qui composent sa formule. Il va donc essayant tous les costumes, brisant tous les moules, et, leur trouvant trop de ressemblance avec ceux qu’il a détruits, ou se sentant gêné par eux dans ses mouvemens, il les abandonne tour à tour. Notre moderne histoire se compose de ces essais successifs, de ces fiévreux tâtonnemens de la révolution à la recherche d’un corps, de cette lente élaboration des institutions qui devront être la nouvelle expression du génie français, comme la monarchie et l’église en ont été l’expression dans le passé. Combien de combinaisons ingénieuses n’a-t-elle pas essayées déjà, combien de tentatives téméraires, audacieuses et violentes ! Un long temps encore s’écoulera avant que n’apparaisse cette expression concrète de l’idéal politique le plus abstrait qui ait jamais été conçu.

Mais la révolution, avant d’être la dernière expression du génie national, en a été le principe, l’âme invisible. Avant de s’appeler de ce nom terrible, elle a joué son rôle humblement et d’une manière anonyme. Elle seule explique toutes les contradictions si nombreuses de notre histoire. Elle explique pourquoi l’église a été tant aimée, et pourquoi en même temps nos rois les plus populaires ont été ceux qui ont résisté à l’église ; pourquoi la féodalité a été tant haïe, et pourquoi la chevalerie a été toujours chère à l’imagination populaire ; pourquoi nos pères ont eu la superstition de la monarchie, et puis le mépris le plus profond de cette même monarchie ; pourquoi la réforme a été si vite adoptée et si vite abandonnée ; pourquoi notre littérature offre tant de contrastes, et se présente tantôt sous une forme noble et chevaleresque, tantôt sous une forme ironique et bouffonne, parfois sous une forme religieuse, parfois aussi sous une forme athée et irrévérencieuse. Tous ces contrastes s’expliquent dès qu’on connaît la nature de cet esprit français, qui se désillusionne aussi facilement qu’il s’abuse, qui poursuit toutes les apparences,