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craignent de s’accuser et réfrènent autant qu’ils le peuvent leurs velléités d’indépendance. C’est en France seulement qu’un certain ridicule s’attache au mot d’original. On dirait que la nation entière a été coulée dans un moule unique. Nos passions elles-mêmes, c’est-à-dire ce qu’il y a dans l’homme de plus instinctif et de plus irrésistible, offrent la même physionomie ; elles doivent moins au tempérament que dans les autres pays ; ce sont des passions raffinées et métaphysiques, des passions de goût, de caprice, de tête, plutôt que des passions d’entraînement. Les vraies passions de la France sont des passions intellectuelles et morales, et c’est un spectacle instructif de voir l’ardeur, la fougue, la frénésie et la fureur que nous déployons alors. Jamais amant jaloux, dans ses noires rêveries et ses désespoirs, n’a commis plus d’actes de folie, n’a laissé briller plus de flamme sincère que le Français, lorsque quelqu’une de ses chimères abstraites était attaquée. Les guerres civiles de France dépassent en horreur celles de tous les autres peuples. Les haines de partis sont les seules qui soient irréconciliables. Rien ne semble nous coûter, ni le mensonge, ni la trahison, ni l’assassinat, lorsque nous sentons que quelqu’une des idées qui nous sont chères va nous échapper ; mais ce n’est que dans les passions intellectuelles que nous portons cet entraînement.

Enfin, chose étrange, le peuple français est le seul qui n’ait pas d’instincts de race. Jamais ce sentiment n’a eu sur lui aucune influence, et l’idée de patrie, qui lui est si chère, en a toujours été distincte. Gaulois ou Romain, peu lui importe ; il est homme avant tout, et imagine volontiers qu’il est semblable à tous les hommes et que tous les hommes sont semblables à lui ; il n’a jamais attaché grande importance aux différences nationales, et la pensée de chercher dans les instincts de race le principe de la grandeur ou de la faiblesse des peuples l’a toujours fait sourire. Il aime mieux croire à des influences empiriques, et invoquer le hasard ou la fatalité des circonstances. Il croit que l’homme est toujours l’homme sous toutes les latitudes, et que les mêmes principes lui sont applicables. De Là le caractère général de ses théories et de ses principes, dont la source ne se trouve pas dans la tradition historique, mais dans la pure raison, dégagée de toute préoccupation d’érudition ; de là aussi la violence de sa propagande. Le despotisme avec lequel il cherche à imposer ses opinions, et qui a .soulevé tant de fois contre lui la haine des autres peuples, n’a pas d’autre raison d’être que cette conviction, que les principes qui conviennent à une fraction de l’humanité conviennent à toute l’humanité, et qu’il n’y a d’autres différences entre les hommes que des différences d’ignorance, de mauvais vouloir, d’égoïsme ou de passions dont le temps