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au monde un art tout scandinave. Inutilement Geijer et quelques bons esprits essayèrent-ils de lutter contre une exagération périlleuse; inutilement l’Académie des beaux-arts de Stockholm voulut-elle prendre en mains la cause des anciennes traditions. Au mois de juin 1817, un inconnu fit donation à la Société gothique d’une somme considérable pour être distribuée, selon les décisions d’un jury spécial, à titre de récompenses ou d’encouragemens, aux artistes suédois et norvégiens qui auraient emprunté leurs sujets à la mythologie du Nord. Le concours fut institué, et au mois de janvier 1818, terme fixé pour la décision des juges, une trentaine de dessins, de tableaux et d’objets de sculpture avaient répondu à l’appel. L’exposition de ces nouveautés, faite par la Société gothique au mépris du privilège prétendu de l’Académie de gouverner seule le goût public et de le convier seule à contrôler les éloges ou le blâme distribués aux artistes, fut regardée comme un scandale par quelques esprits jaloux ou timides, mais l’opinion s’était montrée en général favorable aux novateurs; des protecteurs puissans les soutenaient et les encourageaient; la famille royale vint visiter l’exposition scandinave, et le mérite des œuvres exposées compléta le succès que la mode avait commencé. Toutefois la cause n’était gagnée qu’après bien des modifications apportées par les artistes à la théorie primitive et grâce précisément à ces réserves et à cette prudence. On avait admiré surtout les modèles envoyés par Fogelberg pour trois statues d’Odin, de Thoret de Frei; mais dans quelles sages limites ce grand artiste n’avait-il pas su contenir la liberté qu’on lui prodiguait! Ouvrez son Œuvre[1], et examinez avec attention son Odin, son Thor et son Balder. Quelle habile mesure Fogelberg a observée, se gardant bien d’admettre dans son idéal des traits de costume ou de caractère trop particuliers, mais modifiant le type de la beauté telle que l’humanité la conçoit pour le rapprocher cependant du type spécial imaginé et adopté par plusieurs générations humaines, tenant de la sorte un milieu difficile, également éloigné du monstrueux, ou au moins du bizarre et de l’étrange, et des vagues imitations sans caractère ni cachet! C’était par de longs et consciencieux travaux, par un profond respect des maîtres uni à un tact exquis, que Fogelberg s’était préparé à sortir ainsi, pour y rentrer bientôt, du grand chemin de la tradition antique. L’antique, il le révérait comme la source et le modèle de toute vraie beauté; il ne dédaignait pas, pour s’en approcher et le pénétrer davantage, de se fortifier lentement par l’érudition. Un artiste moins préparé par des

  1. Si consciencieusement gravé sous la direction et par les soins de M. Casimir Leconte, son admirateur et son ami. Voyez sur Fogelberg la Revue du 15 juin 1855.